Navigation dans le blog

Les Salons littéraires au temps des Romantiques

Jusqu’au 15 septembre 2019, au musée de la Vie romantique, les visiteurs sont invités à découvrir Les salons littéraires de la période entre 1815 et 1848, grâce à la présentation de plus d’une centaine d’œuvres : peintures, sculptures, dessins, costumes et manuscrits.

Durant la première moitié du XIXe siècle, les plus grands noms de la littérature – parmi lesquels Honoré de Balzac, Victor Hugo, Alfred de Musset, Théophile Gautier– se réunissent dans des salons en compagnie d’autres artistes pour échanger sur leurs créations. Cette camaraderie, éloignée de l’image habituelle de l’écrivain solitaire, a contribué à l’affirmation du mouvement romantique, fondé sur un dialogue incessant entre la musique, la littérature et les beaux-arts.

Pour en rendre compte, l’exposition propose d’abord une immersion au cœur d’un salon de l’époque. Dans l’atelier-salon d’Ary Scheffer, la bibliothèque, le piano et un accrochage de peintures inspirées notamment de références littéraires, à l’instar du Combat du Giaour et du Pacha d’Eugène Delacroix, évoquent cette atmosphère propre au romantisme. Le public découvre ensuite les « cénacles », ces cercles plus restreints d’hommes et de femmes de lettres, dont ceux initiés par Charles Nodier, Victor Hugo ou Delphine de Girardin, où l’on débat aussi bien de poésie, d’art et de littérature que de l’actualité politique. Le parcours se termine par l’évocation de la postérité des écrivains et poètes qui deviennent au milieu du XIXe siècle, des figures publiques et populaires. Ils sont célébrés par les médaillons et bustes de David d’Angers et caricaturés par le graveur Jean-Jacques Grandville ou le sculpteur Jean-Pierre Dantan.

Cette exposition s’accompagne d’une médiation spécifique : un cabinet d’écoute propose des textes de l’époque lus par des comédiens, une sonorisation d’ambiance est réalisée par la médiathèque musicale de Paris et des dispositifs numériques sont à la disposition du public. Une carte interactive situe les salons littéraires emblématiques de la capitale tandis qu’une application mobile invite les visiteurs à prolonger le parcours en partant dans Paris sur les traces toujours palpables de cette période. En complément de l’exposition, une riche programmation culturelle propose des visites animations, des conférences, concerts et spectacles rendant hommage à cette fraternité des arts si chère aux artistes et écrivains romantiques.

AU CŒUR D’UN SALON LITTÉRAIRE

Abandonnés à la suite de la Révolution française, les salons réapparaissent durant la Restauration et deviennent de hauts lieux du romantisme. Ils sont fondés le plus souvent au domicile des gens de lettres et privilégient, aux mondanités, les lectures et les conversations sur l’art. La poésie occupe une place de choix dans ces soirées. Les auteurs ont pour coutume d’y réciter leurs vers ou de les écrire sur des albums. Les échos entre la musique, les lettres, les beaux-arts sont nombreux : c’est la « fraternité des arts » si chère aux artistes et écrivains. Les murs sont ornés de tableaux des peintres romantiques, les divans et fauteuils garnis de velours noir. Certaines maîtresses de maison rebaptisent leur salle de réception « salon de la mélancolie ».

Dans cet ancien atelier salon du peintre romantique Ary Scheffer, la bibliothèque, le piano et un accrochage de peintures inspirées de références littéraires évoquent cette atmosphère. Les contes du poète Lord Byron nourrissent les peintres Eugène Delacroix et Ary Scheffer ou encore l’écrivain Victor Hugo, pour son recueil Les Orientales. Les artistes Achille et Eugène Devéria ainsi que Louis Boulanger sont des proches d’Hugo et illustrent fréquemment ses écrits.

Eugène Devéria (1805-1865) "L’artiste et son frère Achille", 1836, huile sur toile.
Châteaux de Versailles et Trianon photo © RMN-GP (Château de Versailles) / Franck Raux

Cette représentation des frères Devéria, tous deux artistes importants de la scène artistique romantique, compte parmi les rares illustrations de la fraternité en peinture. Sous le pinceau d’Eugène, à gauche du tableau et paré de ses moustaches à crocs, les deux frères apparaissent en hommes du monde raffinés. La fratrie côtoie les salons de l’époque et reçoit régulièrement dans son atelier, rue d’Assas, Victor Hugo, Eugène Delacroix, Louis Boulanger ou encore David d’Angers.

Louis Boulanger "Ronde du Sabbat".
Lithographie sur papier. 1828.
Paris, Maison de Victor Hugo. © Maisons de Victor Hugo /Roger-Viollet

Dans cette lithographie à la veine fantastique, Louis Boulanger transpose les vers du poème éponyme de Victor Hugo dans le recueil Odes et Ballades. Dans le décor d’une église gothique, des sorcières, démons et fantômes entourent Lucifer en formant une farandole infernale. L’artiste réalise plus tard une peinture d’après cette lithographie, qui sera présentée au Salon de 1861.

 Lire, écrire, écouter

Le 17 décembre 1829, le poète et dramaturge Alfred de Musset écrit au peintre Eugène Delacroix :

« Je prends la liberté de vous proposer de venir jeudi prochain à mon domicile vous embêter d’une galette de vers que je dois lire à ces Messieurs. Vous y trouverez, je pense, Delaroche et Mérimée, et moi je serai enchanté d’avoir votre avis. » Fort appréciée dans les salons, la lecture à haute voix en petit comité consiste à faire connaître une œuvre en préparation, à « l’essayer » sur un public parfois exigeant, parfois complaisant. Tous les écrivains romantiques se prêtent à cet exercice. Alfred de Musset récite ses Contes d’Espagne et d’Italie dans les cénacles de la capitale tandis que Victor Hugo lit ses Orientales à son domicile de la rue Notre-Dame-des-Champs à mesure qu’il les écrit. Certaines lectures, comme celle d’Hernani, ont marqué les esprits.

Si le mouvement romantique se construit d’abord dans la solitude de l’écriture, il s’élabore aussi dans la discussion collective, une autre activité du salon. Dans les cercles plus restreints des cénacles, les participants s’insurgent contre une loi, débattent de l’actualité, s’enthousiasment pour un livre, se moquent d’un confrère ou se disputent à propos d’une théorie.

LE CÉNACLE : DANS LA FABRIQUE DU ROMANTISME

Entre 1820 et 1830, Paris compte une douzaine de cénacles, dont ceux initiés par Charles Nodier et Victor Hugo, où l’on débat aussi bien de poésie, d’art et de littérature que de l’actualité politique. L’amitié, la communauté des sentiments, le partage des découvertes, l’admiration mutuelle en sont les principaux moteurs. Malgré des discussions parfois houleuses, l’esprit d’entraide et le culte de l’art finissent par triompher. Les journaux intimes des écrivains de l’époque témoignent de l’importance de ces lieux fréquentés chaque semaine par nombre d’entre eux.

En 1830, la victoire du drame romantique au théâtre avec la pièce Hernani de Victor Hugo installe durablement le romantisme sur le devant de la scène. Delphine de Girardin et Juliette Récamier contribuent à assurer le rayonnement du mouvement : Madame de Girardin, dans un salon associé au journal La Presse, tenu par son mari, où tous les écrivains voulaient publier leurs œuvres ; Madame Récamier, dans son domicile de l’Abbaye-aux-Bois, autour de la figure iconique de François-René de Chateaubriand.

Le salon de l’Arsenal

Nommé en 1824 bibliothécaire du comte d’Artois à l’Arsenal, Charles Nodier y rassemble tous les dimanches une communauté d’écrivains romantiques, parmi lesquels Alfred de Vigny et Victor Hugo, auxquels se joignent de nouvelles recrues : Alexandre Dumas, Alfred de Musset, Gérard de Nerval, Sainte-Beuve. Les représentations des soirées du cercle de l’Arsenal sont rares et ce dessin fait figure d’exception.

Le Cénacle de Victor Hugo

En 1827, à peine installé rue Notre-Dame-des-Champs, Victor Hugo y accueille ses amis. Appelé « le Cénacle », son appartement devient vite le quartier général des romantiques où s’y retrouvent Vigny, Nerval, Musset, Delacroix, Devéria, Louis Boulanger et Pierre-Jean David D’Angers. Le maître de maison impressionne ses invités par sa puissance créatrice, comme le relate le critique et écrivain Charles-Augustin Sainte- Beuve : « Quelques disciples saints, les soirs, dans le cénacle/Se rassemblaient, et là parlaient du grand miracle. »

Hugo lit ses œuvres poétiques en petit comité et ses pièces dramatiques en cercle élargi, ou commente l’actualité littéraire. À l’approche de l’année 1830, le Cénacle intègre de fraîches recrues et prépare la

« bataille d’Hernani ». Cette pièce d’Hugo, opposant les classiques à la nouvelle génération de romantiques, triomphe à la Comédie-Française le 26 février 1830 et marque la victoire du drame romantique.

Auguste de Châtillon est un artiste proche de la famille Hugo, il présente ce portrait au Salon de 1836. Assis dans un vaste fauteuil, l’écrivain tient par l’épaule son fils Victor, âgé de 8 ans, dans un geste protecteur. Malgré le format imposant du tableau, il s’agit davantage d’un portrait intime que d’un portrait officiel : aucun élément ne fait référence au statut d’homme de lettres de  Victor Hugo, pourtant déjà auréolé de succès à cette époque.

Le salon de l’Abbaye-aux-Bois

Femme de lettres, Madame Récamier installe son salon dans le couvent de l’Abbaye-aux-Bois, rue de Sèvres, où elle loue un appartement de 1819 à 1849. Le Tout-Paris de l’époque rêve d’y avoir ses entrées aussi bien pour entendre François-René de Chateaubriand lire les pages inédites de ses Mémoires d’outre-tombe que pour converser librement avec la maîtresse de maison. À la différence du cénacle de Victor Hugo, la lecture n’est pas un exercice de mise à l’épreuve, mais plutôt un événement dont on espère l’écho dans la presse. L’Abbaye-aux-Bois devient un véritable lieu de culte dédié à Chateaubriand, alors surnommé l’« Enchanteur ».

François Louis Hardy de Juinne dit Dejuinne, "Salon de madame Récamier à l’Abbaye-aux-Bois", 1826
Paris, musée du Louvre Paris. photo © RMN-GP (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi

Ce tableau du peintre d’histoire Dejuinne représente Juliette Récamier dans son petit appartement loué au couvent de l’Abbaye-aux-Bois, rue de Sèvres. Elle est assise sur sa célèbre chaise longue, avec son pianoforte, sa harpe et, accrochée au mur, la fameuse toile de François Gérard, ‘Corinne’ au cap Misène.

Le salon de Delphine de Girardin

Delphine de Girardin ouvre son salon en 1831 au 11, rue Saint-Georges et devient rapidement l’une des femmes les plus influentes de Paris. Son mari, Émile de Girardin, est doté de moyens financiers importants et possède le quotidien parisien La Presse, dans lequel les romantiques publient des articles et des chroniques. De nombreuses célébrités romantiques telles que les écrivains Théophile Gautier, Honoré de Balzac, George Sand ou Alfred de Musset sont des habitués de ce salon littéraire.

Le club des Haschischins

En 1844, le docteur Jacques-Joseph Moreau de Tours est à l’origine d’un regroupement d’artistes, d’écrivains et autres personnalités de l’époque qui expérimentent ensemble les « paradis artificiels ». Ces expériences se déroulent à l’hôtel Pimodan (actuel hôtel de Lauzun) situé sur l’île Saint-Louis. Charles Baudelaire, locataire d’une chambre, participe à ces soirées. Très éloignées du cadre des salons littéraires et des cénacles, les séances rassemblent une poignée d’amis triés sur le volet qui s’essaient aux « fantasias » : des séances d’absorption de cannabis, consommé sous forme de confiture. Les effets de cette substance fascinent alors un monde artistique en quête de sensations nouvelles. Théophile Gautier rend compte de ces soirées en 1846 dans un récit halluciné, 

LES ÉCRIVAINS ROMANTIQUES EN REPRÉSENTATION

« Des poètes encamaradent des musiciens, des musiciens les peintres, les peintres des sculpteurs ; on se chante sur la plume et sur la guitare ; on se rend en madrigaux ce qu’on a reçu en vignettes ; on se coule en bronze de part et d’autre. » Comme le rapporte Henri de Latouche dans La Revue de Paris en 1829, les romantiques se célèbrent mutuellement dans leurs œuvres au cours des décennies 1820 et 1830. Avec ses médaillons fixant le visage des écrivains pour la postérité, David d’Angers réalise un véritable panthéon personnel des hommes et des femmes de son temps. Les graveurs Jean-Jacques Grandville et Benjamin Roubaud ou encore le sculpteur Jean-Pierre Dantan, avec ses « portraits charge », choisissent de les caricaturer.

Une fois devenues des figures publiques, les romantiques perdent le contrôle de leur image et les dessinateurs de presse s’en emparent. Maître incontesté du romantisme littéraire, Victor Hugo est très présent dans les journaux, où il apparaît triomphant, aux côtés de ses disciples ou de ses rivaux. À partir du milieu du XIXe siècle, l’imagerie médiatique se double d’un récit mémoriel. À la fin de sa vie, Théophile Gautier entreprend la rédaction d’une Histoire du romantisme. Demeurée inachevée, cette galerie de portraits contribue à fixer la légende du mouvement.

Le journaliste et caricaturiste Nadar, connu par la suite pour son activité de photographe, représente un long cortège de 249 écrivains, hommes de lettres et journalistes qui marchent vers la gloire, avec à leur tête – en bas et à gauche de l’image – l’indétrônable Victor Hugo.

Il s’agit de l’entreprise caricaturale la plus gigantesque qui ait été tentée au XIXe siècle, nécessitant l’emploi d’une pierre lithographique d’un format rarement employé.

Nadar, "Panthéon Nadar". Lithographie, 1854. 
Paris, Maison de Victor Hugo © Maisons de Victor Hugo /Roger-Viollet


Présentation en vidéo :


Musée de la vie romantique

Hôtel Scheffer-Renan

16, rue Chaptal

75009 Paris

Du mardi au samedi de 10 à 18h.

www.museevieromantique.paris.fr

Laissez un commentaire

Code de sécurité