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À la recherche du manuscrit perdu et autres mystères kafkaïens.

Franz Kafka, l'illustre écrivain, est souvent perçu à travers le prisme de ses œuvres littéraires emblématiques comme "Le Procès" ou "La Métamorphose". Pourtant, un aspect moins connu de sa vie révèle son profond engagement social. Kafka, qui travaillait dans une compagnie d'assurance, consacrait une partie de son temps à visiter des usines et des ateliers pour documenter en détail les divers accidents du travail. Bien que ce fût dans le cadre de ses fonctions professionnelles, il éprouvait une réelle empathie pour les ouvriers et se rangeait du côté des gens modestes, plutôt que de celui de la compagnie d'assurance.

Markéta Mališová, directrice de l'Association Franz Kafka à Prague, met en lumière cette dimension sociale de Kafka, que l'on retrouve notamment dans "Le Château". Dans ce roman, le héros prend la défense des déclassés sociaux, symbolisés par la famille Barnabé. Cette empathie pour les opprimés se heurte à l'ironie de l'histoire, car le régime communiste tchécoslovaque a longtemps interdit les œuvres de Kafka, les jugeant "bourgeoises et réactionnaires". Ce n'est qu'en 1963, lors du colloque de Liblice, que ses écrits ont été partiellement réhabilités.

Kafka était un écrivain social, un homme d'humour et un Juif tchèque de langue allemande. Bien que sa conscience de son identité juive ait influencé son œuvre, Markéta Mališová souligne que son universalité rend difficile de le considérer uniquement comme un écrivain juif. Par ailleurs, elle regrette l'absence de place Franz Kafka à Tel Aviv.

L'un des sujets délicats entourant Kafka est la question des manuscrits qu'il avait demandé à Max Brod, son ami proche, de détruire après sa mort. Brod, convaincu du génie de Kafka, a ignoré cette volonté et a préservé les œuvres, un acte que beaucoup voient comme une trahison magnifiquement justifiée par l'amitié et la reconnaissance du talent de Kafka.

Esther Hoffe, secrétaire et compagne de Max Brod, a hérité des manuscrits après la mort de ce dernier en 1968. Toutefois, la légitimité de cette succession est contestée. Hoffe et ses filles ont vendu plusieurs pages des manuscrits aux enchères, ce qui a suscité de vives critiques. Markéta Mališová estime que les manuscrits devraient revenir à la République tchèque, où Kafka est né et a vécu, et où ses proches, comme le fils de sa sœur Ottla, résident encore.

La question du contenu des coffres suisses reste en suspens. Bien que les éditions critiques des œuvres de Kafka aient déjà été publiées grâce à Brod, il est possible que des documents inédits, notamment des éléments personnels sur les relations de Kafka, y soient encore cachés. Pour Mališová, l'important est que ces documents soient accessibles au public et non conservés comme des reliques inaccessibles.

Enfin, l'Association Franz Kafka, fondée en 1990, joue un rôle crucial dans la préservation et la promotion de l'œuvre de Kafka, organisant notamment le prix Franz Kafka. À travers l'enquête minutieuse de Léa Veinstein* dans "J’irai chercher Kafka", on découvre la saga judiciaire entourant les manuscrits de Kafka, rappelant la force de l'amitié entre Kafka et Brod et l'importance de préserver l'héritage littéraire pour les générations futures. Son récit est captivant, rappelant une enquête policière fascinante et témoignant d'une intelligence aiguisée. Léa Veinstein dévoile des aspects méconnus de l'auteur, comme le fait qu'il éclatait de rire en récitant "La Métamorphose" dans les cafés de Prague. Elle enrichit son texte de références pertinentes à des figures telles que Philippe Lançon, Judith Butler et Nicole Krauss, tout en offrant des éléments cruciaux pour mieux saisir cette histoire, celle d’Israël, de la culture juive et du judaïsme. Elle clarifie des termes comme mezouzah, tephillin et yishouv, explore l'influence du Bauhaus à Tel-Aviv, et relate la vie des exilés européens reconstruisant tout à partir de zéro, ainsi que les événements marquants comme l'Exodus en 1947 et les promesses non tenues sous le mandat britannique.

Pourtant, elle soulève une interrogation persistante : comment Kafka est-il passé de l'anonymat à la stature de mythe littéraire ? L'émotion est palpable à travers le récit de l'amitié profonde entre Kafka et ses proches. Ce récit évoque des parallèles avec des histoires de sauvetage miraculeux, rappelant "La Conjuration des imbéciles" ou l'effort tenace de la mère de John Kennedy Toole pour faire publier son manuscrit posthume, finalement récompensé par un prix Pulitzer. Ces réflexions nous poussent à nous demander combien d'autres chefs-d’œuvre pourraient être perdus à jamais.

* “J’irai chercher Kafka : Une enquête littéraire” | Récit | Léa Veinstein | Flammarion, 320 pp.

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