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A 90 ans, Jodorowsky fait son cinéma.

Jodorowsky est célèbre pour ses bandes dessinées, notamment le Bouncer avec François Boucq, La Caste des Méta-barons avec Gimenez et, bien sûr, la cultissime saga de L’Incal avec Moebius. Jodorowsky est connu pour ses ouvrages ésotériques. Mais on le sait peut-être moins, Jodorowsky est également cinéaste. Il a réalisé près d’une dizaine de films depuis les années 70. La Cinémathèque de Paris propose du 30 septembre au 9 octobre une rétrospective des œuvres cinématographiques de cet artiste hors norme. Ce sera l’occasion d’assister à l’avant-première de son dernier film, un documentaire, réalisé grâce au financement participatif : Psychomagie, un art pour guérir. Alejandro Jodorowsky, convaincu que l’art n’a de sens profond que s’il guérit et libère les consciences, a créé la psychomagie, une thérapie permettant de « libérer des blocages au moyen d’actes théâtraux et poétiques s’adressant directement à l’inconscient ».

Artiste protéiforme et iconoclaste, Jodorowsky aura passé sa vie à transgresser les règles de l’art pour trouver l’illumination. Ses expérimentations poétiques le mènent du théâtre d’avant-garde au cinéma underground et psychédélique, de la bande-dessinée à la cartomancie. Il croise sur sa route aussi bien les surréalistes que le mime Marceau, Topor et Arrabal.

À travers ses films, ses scénarios de bande dessinée ou sa pratique du tarot, Jodorowsky est considéré comme un mystique, voir un mage. 

La majorité de ses films retracent des parcours initiatiques : celui de Fando et Lis vers la cité mythique de Tar à travers un paysage d’apocalypse, celui des neuf élus gravissant la montagne sacrée, celui d’El Topo, le pistolero devenu un idiot visionnaire, ou celui de Jaime dans La Danza de la realidad qui traverse les cercles du communisme, du fascisme et du christianisme. L’initiation ne vise cependant qu’à un retour au monde matériel : il faut toujours quitter la grotte, redescendre de la montagne, brûler ses idoles et combattre ses propres rêves de puissance. 

Pour le cinéaste qui vagabonda entre le Chili, la France et le Mexique, il importe de saisir la vie dans toute sa chair, surtout si elle est crue et sanglante, et c’est dans des espaces à ciel ouvert qu’il fait naître ses visions. La Montagne sacrée (à la production duquel participa John Lennon) s’ouvre par une suite de tableaux hallucinés parmi lesquels la procession de la police fasciste de Mexico portant des chiens écorchés et crucifiés. Dans El Topo, le mercenaire et son fils traversent sur leur cheval noir le village transformé en charnier où coule une rivière de sang. Dans le génial Santa Sangre, des prêtresses mexicaines en tuniques écarlates vouent un culte à une adolescente violée et mutilée. Leur église sera assiégée par une horde de policiers casqués, aux gueules en terre cuite, brandissant leurs matraques.

Jodorowsky appartient à cet art sud-américain, populaire et carnavalesque, des peintures murales éclaboussées de la colère du peuple, des ex-voto avec leurs terreurs aztèques et des Santa Muerte de Diego Rivera.

Si l’état de « panique », du nom du groupe qu’il forma à Paris dans les années 60 avec Arrabal et Topor, implique la violence et l’effroi, Jodorowsky n’est pas un nihiliste et désigne ce qui doit être sauvé : les déshérités, les infirmes, les idiots et les freaks. En face des hommes puissants et de leurs armes, résistent jusqu’à la mort les manchots qui ne peuvent répondre aux coups, les culs-de-jatte qui ne peuvent fuir, et les petites naines avec leurs amours démesurées. L’état de dénuement vers lequel cheminent les récits de Jodorowsky est toujours l’enfance. Dans ses deux derniers films, La Danza de la realidad et Poésie sans fin, qui sont parmi ses plus beaux, celle-ci se confond avec le Chili de sa jeunesse où la terreur fut autant familiale que politique, entre un père despotique et des colonels sanguinaires. C’est dans ce chaos qu’il rencontra la poésie qui allait changer sa vie, et que furent figées à jamais les images éclatantes, cruelles comme celles de la répression ou ensorcelantes comme celles du cirque, qui allaient le hanter. C’est là aussi que ce père redouté, haï mais aussi aimé, lui enseigna une leçon essentielle : au cœur des drames et des catastrophes, lorsque le monde s’écroule, il faut toujours rire à gorge déployée pour faire fuir la mort.

 

LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE

51 Rue de Bercy, 75012 Paris

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