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Les villes dans les cartes portulanes : un reflet des enjeux commerciaux et politiques.

Les cartes portulanes, ces précieuses cartes marines élaborées entre le 13e et le 17e siècle, sont bien connues pour leur représentation minutieuse des côtes et des routes maritimes. Cependant, elles ne se limitent pas aux seuls éléments maritimes et incluent également une riche imagerie des terres, notamment des villes. Ces représentations urbaines ne sont pas de simples ornements : elles révèlent les dynamiques commerciales et politiques de l'époque.

Mappemonde de Pietro Vesconte | © Bibliothèque nationale de France

Une symbolique urbaine cohérente et itérative

Dès le 14e siècle, les cartographes ajoutent à leurs tracés côtiers des symboles évoquant les formes urbaines. Un système visuel cohérent et itératif se met en place, permettant de représenter, de manière standardisée, des cités de diverses régions du monde, qu'elles soient antiques, marchandes, conquérantes ou mythiques. Cette uniformité iconographique permet une identification rapide et facile des différentes villes, indépendamment de leur emplacement géographique.

Par exemple, en 1339, le cartographe Angelino Dulcert illustre les cités majeures de son époque sous forme de vignettes, n'hésitant pas à inclure des villes situées loin des côtes telles que Paris, Rome, Salamanque ou Bologne. Il développe un schéma simple qu'il applique uniformément à tous les territoires, illustrant ainsi la reconnaissance de l'importance stratégique et symbolique de ces centres urbains, même lorsqu'ils ne sont pas directement liés aux routes maritimes.

Entre 1375 et 1550, l'attention des cartographes se tourne particulièrement vers les cités africaines, tant côtières que subsahariennes. Ces villes deviennent des jalons essentiels dans les circuits commerciaux de l'époque, ce qui se traduit par une profusion de vignettes représentant non seulement les villes elles-mêmes, mais aussi les peuples, la faune et la flore de ces régions.

Corne de l’Afrique et golfe d’Aden | © Bibliothèque nationale de France

Une codification politique, géographique et économique

Les cartes portulanes ne se contentent pas de représenter des villes ; elles codifient également des informations politiques, géographiques et économiques à travers leurs représentations urbaines. Par exemple, dans l'Atlas catalan, les villes sont souvent représentées avec des bâtiments militaires et religieux typiques, reconnaissables à leurs toits coniques surmontés d'une croix ou d'un bulbe, indiquant ainsi s'il s'agit de contrées chrétiennes, païennes ou musulmanes.

Cette codification inclut également une hiérarchie visuelle. La forme, la taille et le nombre des symboles varient en fonction de l'importance de la ville. Ainsi, une grande cité marchande ou une capitale politique est représentée de manière plus élaborée et imposante qu'une petite ville côtière.

Au 17e siècle, l'accent se déplace des capitales politiques et religieuses vers les centres commerciaux vitaux pour l'économie européenne. Les cartes commencent à illustrer des comptoirs européens et des cités commerçantes indigènes dans l'océan Indien, comme Sofala, Mozambique, Mombasa ou Goa, soulignant leur importance dans les réseaux d'échanges commerciaux.

Des villes-mondes et des villes-comptoirs

Certaines cartes de prestige vont plus loin en présentant des images de villes-mondes, des puissances maritimes, des cités commerçantes, des villes mythiques et disparues, ainsi que des villes-comptoirs fondées par les Européens en Afrique et en Asie. Ces représentations révèlent une codification à la fois politique, géographique, économique et parfois religieuse.

Les cartographes et enlumineurs élaborent ainsi un modèle de figuration urbaine très schématisé, appliqué uniformément aux cités du monde entier, souvent plus imaginaire que réaliste. Ce modèle reproduit le paysage urbain médiéval de l'Europe, reflétant une vision européenne du monde et des relations de pouvoir qui le structurent.

Vignettes urbaines | © Bibliothèque nationale de France

En conclusion, la représentation des villes dans les cartes portulanes est bien plus qu'un élément décoratif. Elle traduit les enjeux commerciaux et politiques de l'époque, codifiant une vision européenne du monde et hiérarchisant les cités selon leur importance économique, religieuse ou politique. Les vignettes urbaines des cartes portulanes témoignent ainsi de la volonté des cartographes de fournir une image synthétique et symbolique des réseaux de pouvoir et d'échanges de l'époque, faisant de ces cartes des documents précieux pour comprendre les dynamiques historiques des sociétés médiévales et modernes.

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