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Le tarot dit de Charles VI : un témoignage de la Renaissance humaniste.

Le Tarot dit de Charles VI, dont seulement dix-sept des soixante-dix-huit cartes originales sont conservées, constitue l'un des rares témoignages des luxueux jeux princiers de la Renaissance italienne. Il fait partie des quelque vingt jeux de tarot de cette époque encore existants. Son attribution à Charles VI (1368-1422) est partiellement inexacte, car ces cartes ont été exécutées en Italie du Nord, après la période de règne de ce roi de France.

Une expression de la culture humaniste

Les tarots peints sont documentés dès le XVe siècle dans les cours de Milan et de Ferrare. Ils représentaient une manifestation de la culture humaniste qui imprégnait alors l'Europe, inspirant de nombreux jeux éducatifs, édifiants, et parfois initiatiques ou ésotériques. Créés par des érudits, ces jeux étaient riches en allégories, symboles et emblèmes, diffusant ainsi les nouvelles idées humanistes. Les humanistes croyaient en la puissance du langage visuel pour une compréhension immédiate du savoir. L'art était ainsi utilisé comme support pédagogique, et l'instruction devenait une initiation personnelle à une vie supérieure. Ces jeux, où la tradition sacrée se mêlait à la culture profane et à la fiction, séduisaient particulièrement les princes de l'époque.

L'émergence et la diffusion du tarot

Le jeu de tarot est mentionné pour la première fois à Ferrare en 1442, sous le terme de "carte da trionfi" ou "triumphorum ludus" (triomphes). Vers 1500, le terme "tarocchi" apparaît dans un livre de comptes de la cour de Ferrare, et la transcription française "tarot" est documentée en 1505. C'est de Milan que le tarot se propagea en France, en Suisse, puis en Allemagne et dans le reste de l'Europe. Il se répandit sous la forme d'un ensemble de soixante-dix-huit cartes : vingt-deux atouts ou triomphes et cinquante-six cartes réparties en quatre couleurs (roi, dame, cavalier, valet, cartes numérales de l’as au dix) aux enseignes latines symbolisant des épées, bâtons, coupes et deniers. Si ces symboles proviennent du monde musulman, les atouts sont une création essentiellement européenne. Dès le début du XVIe siècle, des variantes apparaissent, comme le minchiate de Florence avec dix-neuf atouts supplémentaires et le tarocchino de Bologne sans les cartes de points de deux à cinq. Des versions plus populaires, gravées sur bois et imprimées, circulaient également.

Une iconographie riche et symbolique

L'iconographie des tarots, tirant du sacré et du profane, est en adéquation avec la culture médiévale et humaniste. Les cartes représentent divers ensembles thématiques : le pouvoir spirituel et temporel avec le Pape, la Papesse, l'Impératrice et l'Empereur ; les vertus cardinales avec la Tempérance, la Justice et la Force ; les allégories chrétiennes avec la Mort, le Diable, la Maison-Dieu et le Jugement ; la culture populaire avec le Bateleur, l'Amoureux, la Roue de Fortune, l'Ermite et le Pendu ; et les planètes avec l'Étoile, la Lune, le Soleil et le Monde. Le décryptage de ces figures, aisé pour les humanistes de l'époque, est devenu plus complexe avec le temps. Les allégories et symboles, la succession des atouts, ainsi que les fonctions ludiques de ces cartes, ont toujours suscité un grand intérêt et de nombreuses interprétations.

L'influence de Pétrarque

Le terme "triomphe" utilisé pour désigner les atouts évoque le célèbre ouvrage de Pétrarque, "Les Triomphes" (I Trionfi), écrit à partir de 1352 et publié à Rome en 1471. Bien que Pétrarque n'ait pas décrit les illustrations de son œuvre, celle-ci a fortement inspiré les artistes des XVe et XVIe siècles. Les figures allégoriques de l'Amour, la Chasteté, la Mort, la Renommée, le Temps et la Divinité, souvent représentées montées sur des chars, symbolisaient le triomphe et étaient reproduites dans divers arts visuels.

Une mise en scène théâtrale

L'artiste anonyme du Tarot dit de Charles VI a conçu ses figures dans un espace scénique, cherchant à créer un effet de trompe-l'œil en les détachant du fond et du cadre. Cette projection en avant anime la composition et les personnages, pour la plupart en mouvement, semblent avancer vers le spectateur. Le style des cartes, très inspiré par l'enluminure, est influencé par les contraintes du cadre et des dimensions, ainsi que par les couleurs limitées à des tons vifs comme le rouge, le bleu, le vert, l'orange, l'or et l'argent (souvent oxydé). Les figures apparaissent en gros plan, avec des variations notables d'une carte à l'autre, donnant à l'ensemble une puissance d'expression surprenante.

Un mystère persistant

La "comédie" jouée par ces personnages reste mystérieuse. L'ésotérisme, l'occultisme et la cartomancie ont trouvé un terrain fertile dans ces cartes à partir du XVIIIe siècle, et surtout au XIXe siècle. Le jeu de levées permis par le tarot est toujours pratiqué aujourd'hui. La structure et les combinaisons de ce jeu ont fasciné par leur logique, analysées en profondeur par Michaël Dummett, philosophe et professeur de logique à Oxford. Grâce à ses travaux, l'histoire des règles du tarot est maintenant bien connue, sauf pour ses débuts. L'iconographie originelle du tarot, perpétuée dans les jeux à enseignes italiennes, continue de captiver par son mystère et son pouvoir d'évocation intemporel.

Tarot dit de Charles VI : Le Fou | Bibliothèque nationale de France
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