« Avis sur la stéréotypie » : quand une promesse technique devient marque.

On ouvre un petit in-18 du début du XIXᵉ siècle. Avant même la page de titre, un court encart attire l’œil : « Avis sur la stéréotypie ». Quelques lignes, ton assurément moderne, y garantissent au lecteur une correction “parfaite”, la réimpression facilitée et la remplaçabilité d’un volume abîmé ou manquant dans une série. On tourne la feuille : sur la page de titre, un médaillon montre Gutenberg, Fust et Schœffer de profil, comme un sceau d’authenticité. Et, sous l’adresse, cette précision fière : « Stéréotype d’Herhan ».
Ainsi se lit, en miniature, tout un programme éditorial : le procédé (la stéréotypie), l’homme (Louis-Étienne Herhan), la marque (son emblème). C’est de cette triangulation que naît un style de livre — compact, réimprimable, pensé pour les séries et pour l’enseignement — et une façon de parler au lectorat de la fiabilité du texte.

Stéréotyper, pour quoi faire ?

À la charnière de 1800, la stéréotypie promet de résoudre trois contraintes de la composition au plomb : immobilisation des caractères, coût des retirages et corrections hasardeuses lors des réimpositions. En substituant à la forme composée un cliché en métal (une plaque), on libère les caractères, on conserve l’empreinte pour un retirage rapide, et l’on évite d’introduire de nouvelles fautes en recomposant. Cette logique, qu’exposent les premières synthèses techniques (Camus) et que résume l’« Avis » placardé en tête des volumes stéréotypés, aligne la technique et l’argument commercial : des textes plus stables, des séries plus fiables, des tirages plus souples.

Herhan, l’inventeur-entrepreneur

Louis-Étienne Herhan (1768-1854) n’est pas seulement un fondeur de caractères : c’est un ingénieur de procédés formé aux urgences de la Révolution (il travaille aux assignats, où la duplication sûre devient affaire d’État). Il dépose brevet en décembre 1797, s’associe un temps aux Didot et à l’éditeur Renouard, puis poursuit seul sa voie, au point de conduire une imprimerie de 37 presses en 1807 avant une faillite en 1808 — signe d’ambition industrielle autant que de fragilité financière. Rebreveté imprimeur en 1811, il obtient même le titre d’imprimeur stéréotype du duc de Berry. Dans ces années, son nom apparaît comme garantie de procédé : « Stéréotype d’Herhan ». 

Une marque qui raconte une filiation

La marque d’Herhan — Gutenberg, Fust, Schœffer en médaillon — s’inscrit dans l’iconographie des marques d’imprimeurs : elle ne “illustre” pas ; elle asserte. En convoquant la triade fondatrice de Mayence, Herhan relie son innovation au mythe d’origine de l’art typographique : ici, la nouveauté n’est pas rupture, elle est continuité. La page de titre, souvent complétée du rappel « Stéréotype d’Herhan », fait système avec l’« Avis sur la stéréotypie » placé au dos du faux-titre : image-sceau + texte-programme. C’est un véritable dispositif paratextuel qui convertit un procédé en promesse.

Une collection de formats “maniables”, pensée pour l’école et les classiques

De 1808 à 1816, fleurit une production in-12, in-18, in-8, souvent à destination scolaire et des classiques : Rousseau, Voltaire, Corneille, etc. La BnF conserve des exemplaires où l’« Avis sur la stéréotypie » précède le texte, et des séries clairement estampillées « Stéréotype d’Herhan ». On lit aussi la coopération avec l’imprimerie Mame : certaines adresses combinent « Stéréotype d’Herhan » et « Imprimerie des frères Mame », ce qui dit l’industrialisation du procédé (Herhan fournissant matrices et stéréotypes, des ateliers comme Mame exécutant le tirage). Dans ce modèle, la stéréotypie devient infrastructure de collection : on peut tirer, retirer, compléter — ce que l’« Avis » promet au lecteur.

L’« Avis » comme micro-manifeste éditorial

Quand les catalogues de bibliothèques ou d’expositions reproduisent le texte de l’« Avis », on y retrouve la même rhétorique :
— corriger “instantanément et irrévocablement” une erreur identifiée ;
— éviter les fautes “de recomposition” ;
— assurer au public des livres exempts d’erreurs ;
— faciliter le remplacement d’un volume isolé dans une série.
En bref, fiabilité textuelle et logistique de série. Cette petite page — souvent ignorée des lecteurs pressés — est un contrat : elle transforme la technique en gage et naturalise, dès 1810-1820, une idée très moderne de l’édition : le texte comme bien maintenable.

Pourquoi le “procédé Herhan” ne s’impose-t-il pas ?

L’histoire technique est rarement linéaire. Le procédé d’Herhan, fondé sur des matrices de cuivre et un coulage direct, s’avère coûteux face aux solutions concurrentes (chez Didot, puis via des perfectionnements comme le flan de Genoux). La stéréotypie, elle, s’impose bien comme principe, mais pas exactement sous la forme Herhan. Reste que son programme commercial — pérennité, uniformité, réassort — gagne la bataille des représentations : de la stéréotypie aux clichés, puis à l’électrotypage, jusqu’aux linotypes du milieu du XIXᵉ siècle, c’est la même idée d’un texte reproductible à l’identique qui se consolide. 

Héritage

Aujourd’hui, les exemplaires conservés — un Corneille « Stéréotype d’Herhan », un Voltaire, un Rousseau muni de son « Avis » — disent moins une curiosité technique qu’une politique du livre : standardiser pour diffuser, marquer pour rassurer. La marque d’Herhan ne “décore” pas : elle raconte. Et l’« Avis » ne “explique” pas : il engage. Entre le procédé, la marque et le texte, Herhan a compris que l’innovation n’existe vraiment, aux yeux du public, que lorsqu’elle se met en récit.

Références (sélection)

• Notice BnF “Herhan, Louis-Étienne (1768-1854)” — biographie, brevets (23 décembre 1797), effectifs (37 presses en 1807), faillite (1808), brevet d’imprimeur (1811), titre d’« imprimeur stéréotype » du duc de Berry. BnF Catalogue

• A.-G. Camus, Histoire et procédés du polytypage et de la stéréotypie (1801/1802) — première synthèse technique et historique sur le procédé. Google LivresGallica

• Georgetown University Library, “Gutenberg and Beyond” — description/traduction d’un Avis sur la stéréotypie (Regnard, 1819) : correction “instantanée et irrévocable”, évitement des fautes de recomposition, remplaçabilité d’un volume. library.georgetown.edu

• Florilège (Université de Poitiers) — Marque de l’imprimeur en stéréotype Louis-Étienne Herhan : Gutenberg, Fust, Schœffer de profil en médaillon. florilege.edel.univ-poitiers.fr

• BiblioMab — billet « Avis sur la stéréotypie – Marque de l’imprimeur et fondeur de caractères Louis-Étienne Herhan » : localisation de l’« Avis » (verso du faux-titre), rappel de la marque et du procédé. BiblioMab

• BNF, Reliures — fiches signalant explicitement la présence d’un « Avis sur la stéréotypie » en tête d’Oeuvres choisies de J.-B. Rousseau (tirages 1808 et 1810). reliures.bnf.fr+1

• Gallica / BnF — exemples de séries « Stéréotype d’Herhan » : Chefs-d’œuvre dramatiques de Voltaire (t. I–IV), Chefs-d’œuvre de P. Corneille (t. IV). Gallica+1

• HathiTrust — Code Napoléon, Paris : Stéréotype d’Herhan, Imprimerie des frères Mame, 1810 : atteste la coopération Herhan–Mame. HathiTrust

• Musée de l’imprimerie & de la communication graphique (Lyon) — dossier historique : mise au point du procédé Herhan (ex. La Bruyère, Caractères, an X), récompenses et limites économiques du procédé. imprimerie.lyon.fr

NB : on pourra compléter cette bibliographie par les études de Marius/Maurice Audin et par la notice de synthèse “Stéréotypie” (vulgarisation solide, notamment sur le “flan” de Genoux et les évolutions techniques au XIXᵉ siècle). Persée