Parmi les joyaux les plus précieux de la bibliophilie médiévale, rares sont les ouvrages qui allient avec autant de...
Alexandre-Auguste Veinant : une vie dédiée aux livres rares.
Le 4 mars 1859, Paris perdait un de ses plus fervents bibliophiles : Alexandre-Auguste Veinant. Né dans la capitale le 30 juillet 1799, il n'avait alors que 59 ans. Pourtant, en dépit de ses moyens modestes, il était parvenu à se constituer une collection de livres rares et précieux qui, après sa mort, allait être dispersée pour une somme considérable.
Une passion dévorante pour les livres
Dès son plus jeune âge, Veinant avait développé une passion inébranlable pour les livres. Cette passion l’avait conduit à fréquenter assidûment les quais de Seine, où il scrutait les étals des bouquinistes à l’affût de la perle rare. À une époque où il n’était qu’un modeste surnuméraire au ministère des Finances, il réussit, par une gestion rigoureuse de ses finances et une patience inébranlable, à accumuler une collection de volumes d’une rareté exceptionnelle. Sa quête incessante de l’objet littéraire parfait le poussait à lire chaque catalogue de vente, à connaître chaque libraire et chaque amateur éclairé. Les ventes publiques et les échanges avec d'autres collectionneurs enrichirent progressivement sa bibliothèque, dont certaines pièces allaient se vendre à prix d'or bien après sa disparition.
Veinant ne se contentait pas de posséder ces livres ; il les chérissait et en prenait le plus grand soin. Une tâche de rouille, un pli mal ajusté, un fer mal appliqué sur une reliure suffisaient à troubler sa quiétude. Avec une habileté sans pareille, il s'employait à restaurer ses volumes, les lavant et les encollant avec un savoir-faire que bien peu possédaient. Après ce travail minutieux, il confiait ses trésors à des relieurs de renom comme Trautz-Bauzonnet, Duru, ou encore Hardy. Ces derniers, conscients de l’expertise de Veinant, exécutaient ses instructions avec la plus grande déférence. Les volumes ainsi reliés étaient d’une qualité irréprochable, et les bibliophiles contemporains s'accordaient à dire que chaque ouvrage ayant passé entre ses mains était un modèle de perfection.
Un homme et son œuvre
Physiquement, Alexandre-Auguste Veinant était un homme grand, sec, légèrement voûté. Un portrait caricatural de lui figure en tête de la « Bibliotheca scatologica », œuvre dont il est l'un des auteurs. Cette gravure le montre courbé en deux, appuyé sur une béquille, mais contrairement à cette représentation, Veinant n'était ni boiteux, ni aussi déformé qu'il y paraît.
Son souci du détail et son amour des livres allaient jusqu'à surpasser celui de sa propre apparence. En témoigne sa fameuse redingote en alpaga, qu'il continua de porter bien après que cette étoffe ait cessé d'être à la mode, dans les années 1830. Cette redingote, ample et pourvue de poches assez grandes pour transporter des livres in-folio, ne le quittait jamais.
Outre son activité de collectionneur, Veinant s’était également consacré à l'édition de pièces rares, souvent en collaboration avec Giraud de Savines. Il supervisait chaque étape de la réimpression de ces œuvres avec une minutie extrême, collationnant les épreuves lettre par lettre, d’abord de gauche à droite, puis de droite à gauche, afin d'assurer une fidélité absolue à l'original. C’est sous l’anagramme de Gustave Aventin qu’il publia les Œuvres complètes de Tabarin en 1858, une édition qui s'inscrit dans la célèbre « Bibliothèque elzévirienne » de Pierre Jannet. Malheureusement, Veinant décéda peu après cette publication, nous privant de ce qui aurait pu être une polémique savoureuse avec Paul Lacroix, déclenchée par une critique parue dans le Bulletin du bibliophile.
Une collection hors du commun
En 1855, Alexandre-Auguste Veinant rédigea un Catalogue des livres rares et précieux pour une vente publique qui se déroula en décembre de la même année. Ce catalogue révèle l'étendue de ses trésors bibliophiliques, parmi lesquels on trouvait des manuscrits enluminés, des heures imprimées au XVe siècle, ou encore des œuvres de Clément Marot. Cependant, certains livres étaient si chers à son cœur qu’il ne put se résoudre à s'en séparer. Ces ouvrages, ainsi que ceux qu’il acquit par la suite, furent inclus dans la vente de sa bibliothèque après sa mort en 1860. Malgré le nombre relativement restreint de volumes, cette vente rapporta la somme remarquable de 47 000 francs.
Parmi les pièces les plus notables de cette vente figuraient des exemplaires rares comme les Pseaumes de David traduits par Clément Marot (1550), un recueil de pièces satiriques contre le pape et l'Église romaine (1562-1563), ou encore La Vénerie de Jacques du Fouilloux (1561). Les reliures, souvent réalisées par les meilleurs artisans de l’époque, témoignaient du goût exquis et de l’attention au détail qui caractérisaient le collectionneur.
Outre les livres eux-mêmes, Veinant avait également réuni une vaste collection de catalogues de vente, enrichis de notes manuscrites indiquant les prix obtenus, les noms des acheteurs et l’origine des exemplaires. Cette collection reflétait l’érudition et l'implication profonde de Veinant dans le monde de la bibliophilie.
Un héritage de passion et de rigueur
L'histoire d'Alexandre-Auguste Veinant démontre qu'il est possible, avec passion, patience et persévérance, de constituer une collection de livres d'une valeur inestimable, même en dépit de ressources limitées. Son nom reste gravé dans la mémoire des amateurs de livres anciens, et les volumes qu'il a collectionnés et fait relier continuent de circuler dans les cercles de bibliophiles, porteurs de l'empreinte de son exigence et de son amour pour le bel ouvrage.
À travers son œuvre de collectionneur et d'éditeur, Veinant a laissé un exemple vibrant de ce que peut accomplir un amour sincère pour la littérature et un respect profond pour l'objet livre. Sa vie et son travail rappellent à chaque bibliophile l'importance de la dévotion aux détails, du soin apporté à la conservation et de la passion pour l'écrit, valeurs intemporelles qui transcendent les époques et les modes.
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