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Alfred Chenest : banquier, aventurier et grand bibliophile du XIXe siècle.
Alfred Chenest, un homme au destin fascinant, a vu le jour à Paris le 12 février 1816. Bien que né au cœur de la capitale française, son esprit aventurier le poussa à parcourir le globe, un exploit remarquable pour l’époque. Après avoir exploré le monde, Chenest retourna en France pour épouser, en 1846, Clémence Camion (1826-1908), fille d’un notaire et maire de Sedan. Le père de Clémence était également le propriétaire du prestigieux château de La Cassine, situé à Vendresse, dans les Ardennes, et construit en 1571 par Louis de Gonzague, duc de Rethel et de Nevers. Ce château, chargé d’histoire, fut malheureusement frappé par la foudre en 1697, provoquant sa destruction partielle. Il fut reconstruit en 1850 avant de subir un autre coup du sort, étant ravagé par un incendie en 1927.
Un banquier influent et collectionneur d'art
Au-delà de son mariage avec Clémence, Alfred Chenest s'est imposé dans la société parisienne en tant que banquier et grand propriétaire foncier. En 1871, il fit l’acquisition d’un des prestigieux hôtels des maréchaux situés place de l’Étoile, aujourd’hui renommée place Charles De Gaulle. Cet hôtel, situé au 3 rue de Tilsitt, symbolisait non seulement sa richesse mais aussi sa position de choix au sein de l'élite parisienne. Il n'était pas seulement un financier avisé, mais également un érudit, membre de la Société de l’Histoire de France, un groupe distingué dédié à la recherche et à la préservation du patrimoine historique du pays.
Chenest est décédé le 3 mars 1880, dans le IXe arrondissement de Paris, mais son héritage dépasse sa simple carrière de banquier. Une partie importante de son identité résidait dans sa passion pour la littérature ancienne et les manuscrits rares. Cette passion pour les livres anciens, notamment acquise à travers des collections prestigieuses, marqua sa vie et contribua à faire de lui une figure notable dans les cercles littéraires.
La bibliothèque d'Alfred Chenest : trésor de la bibliophilie
L’une des plus grandes fiertés d’Alfred Chenest était sa vaste bibliothèque, composée de livres rares et précieux, dont une grande partie fut acquise en mars 1848 lors de la vente des ouvrages d’Armand Bertin (1801-1854), directeur du célèbre Journal des débats. Cette collection exceptionnelle, réunie avec soin, fut en partie dispersée lors d'une vente publique le 4 mai 1853, un événement qui attira les plus grands collectionneurs et bibliophiles de l’époque.
Le catalogue de cette vente, intitulé Catalogue d’une petite collection de livres rares et précieux, anciennes poésies, romans de chevalerie, chroniques, manuscrits, etc., publié à Paris par J. Techener en 1853, recense les 302 lots mis en vente. Ce document, bien que modeste en volume (48 pages), reste une référence pour les passionnés de bibliophilie. Chaque livre y est décrit avec une minutie exceptionnelle, et Techener souligne dans son introduction que peu de ventes ont suscité autant d’intérêt de la part des érudits et des spécialistes de l’époque.
Parmi les trésors dispersés lors de cette vente, les manuscrits médiévaux et les premières éditions imprimées occupaient une place de choix. Ces ouvrages, souvent reliés avec une grande élégance par les maîtres relieurs de l’époque, tels que Bauzonnet-Trautz ou Niedrée, représentaient des objets d'art à part entière, autant admirés pour leur contenu que pour leur présentation.
Manuscrits exceptionnels et reliures somptueuses
Les manuscrits médiévaux occupaient une place centrale dans la collection de Chenest. Parmi les pièces les plus remarquables, on peut citer un Missel du XIIIe siècle sur vélin, orné de 46 miniatures et accompagné de musique notée pour les prières, relié dans un luxueux velours vert avec des fermoirs en vermeil en forme de fleurs de lys. Cette pièce rare fut adjugée à 950 francs lors de la vente, un prix considérable pour l’époque. Un autre Missel, datant du XIVe siècle, également sur vélin et orné de miniatures, fut vendu pour 2 000 francs. Ce dernier, relié en velours cramoisi avec des fermoirs enrichis de pierres précieuses, témoignait du raffinement extrême des livres religieux de cette période.
Les reliures, souvent réalisées par les plus grands artisans de l’époque, faisaient de chaque volume un objet d’art unique. La reliure à la Grolier, un style inspiré du bibliophile Jean Grolier, était particulièrement prisée, et plusieurs ouvrages de la collection de Chenest en étaient ornés. Par exemple, un exemplaire de la Legenda Sanctorum du XIVe siècle, orné de 24 miniatures et relié en maroquin citron avec des motifs entrelacés, était une pièce d’une grande beauté et d’une rareté indéniable.
Imprimés anciens : entre humanisme et chevalerie
Outre les manuscrits, la collection de Chenest comprenait des imprimés anciens, dont plusieurs premières éditions d’œuvres majeures de la littérature classique et médiévale. Parmi ces trésors figure une édition de L’Aristoteles Opera, imprimée à Venise par Alde Manuce entre 1495 et 1498, un ensemble de cinq tomes magnifiquement reliés en maroquin vert. D'autres ouvrages, comme les Essais de Michel de Montaigne, dans une édition de 1582, reflètent l’intérêt de Chenest pour les penseurs humanistes.
La collection comportait également des œuvres plus populaires, telles que des romans de chevalerie et des chroniques médiévales. Le Phebus des deduiz de la chasse des bestes sauvaiges, une édition rarissime imprimée à Paris par Jean Treperel à la fin du XVe siècle, illustre cet intérêt pour les récits chevaleresques. Relié en maroquin rouge avec une riche dorure, ce volume était l'un des fleurons de la collection de Chenest.
Héritage et influence
La dispersion de la collection d'Alfred Chenest en 1853 ne marque pas seulement la fin d'une bibliothèque privée, mais également la transmission d'un patrimoine littéraire et artistique d'une valeur inestimable. La passion de Chenest pour les livres anciens et rares a non seulement contribué à enrichir le marché de la bibliophilie de son temps, mais elle continue d’inspirer les chercheurs et les collectionneurs d’aujourd’hui. Les reliures somptueuses, les miniatures délicates, et les éditions originales dispersées à travers le monde témoignent de l’excellence des artisans et des imprimeurs des siècles passés.
En explorant cette collection, on découvre non seulement l'âme d’un érudit, mais aussi celle d’un amoureux des lettres, des arts et de l’histoire, qui a su, à travers ses acquisitions, préserver et transmettre un héritage culturel inestimable. Alfred Chenest, par sa collection et son implication dans les cercles littéraires, demeure une figure emblématique de la bibliophilie française du XIXe siècle.
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