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Angelo Rinaldi, le feu sacré des lettres françaises.
L’annonce de la mort d’Angelo Rinaldi, survenue à Paris le 7 mai 2025, à l’âge de 84 ans, a provoqué une onde de tristesse dans le monde littéraire. Romancier, critique redouté, journaliste à la plume aussi élégante que cruelle, membre éminent de l’Académie française, cet homme au regard perçant et à l’intelligence aiguë laisse derrière lui une œuvre marquante, imprégnée de sa Corse natale, de ses fidélités littéraires, mais aussi de son indépendance farouche. Figure solitaire et inclassable, Angelo Rinaldi fut l’un de ces écrivains pour qui la littérature est d’abord une exigence de vérité, souvent rugueuse, parfois cruelle, toujours lucide.
Né en 1940 à Bastia, dans une île qu’il n’a jamais cessé de convoquer dans ses textes, Angelo Rinaldi s’est très tôt distingué par une sensibilité littéraire singulière. Avant même de devenir écrivain, il s’impose dans le monde du journalisme, où il manie le verbe avec précision et ironie. Il est tour à tour critique et chroniqueur dans plusieurs grands titres de presse nationale. La critique devient pour lui un art, au même titre que le roman. Sa plume, acérée, élégante, cruelle souvent, ne pardonne ni la paresse ni la médiocrité. Il juge avec une rigueur sans concession, d’autant plus implacable qu’elle repose sur une immense érudition littéraire.
Mais c’est bien dans le roman qu’il révèle pleinement son univers. Dès ses premiers livres, il impose une voix singulière, mêlant ironie, amertume, mélancolie et lucidité. Ses récits se situent souvent entre la Corse et Paris, entre l’enfance blessée et les coulisses du monde littéraire, entre la chronique sociale et l’introspection douloureuse. Le réalisme âpre y côtoie l’élégance du style classique. Il n’a jamais cédé aux modes, aux simplifications, ni aux injonctions éditoriales. Rinaldi écrivait pour dire ce qu’il voyait, ce qu’il pensait, et non ce qu’il convenait de penser.
C’est au début des années 1970 qu’il obtient une reconnaissance majeure avec un roman qui révèle toute la puissance de son regard sur le monde, de son ironie mordante et de sa maîtrise stylistique. Dans ce livre, il mêle le portrait psychologique à la satire sociale, dressant des fresques humaines empreintes de désillusion. La critique, séduite par cette voix neuve et impertinente, salue la force d’un écrivain qui parvient à dire l’inavouable sans jamais verser dans la vulgarité. Ce roman lui vaut un prix littéraire prestigieux, qui vient entériner ce que les lecteurs les plus exigeants avaient déjà compris : Rinaldi est un styliste d’exception, et un moraliste sans illusions.
La suite de sa carrière littéraire confirme ce talent hors norme. Il publie de nombreux romans dans lesquels il explore les secrets de famille, les petites hontes sociales, les hypocrisies de la bourgeoisie, les blessures de l’amour. Il n’a jamais écrit pour plaire. Il se méfiait du consensus, de la complaisance, et plus encore des ambitions carriéristes qui polluent parfois le milieu littéraire. Pour lui, écrire impliquait de déranger. Cette liberté intérieure, il l’a revendiquée toute sa vie, même quand elle lui valait l’incompréhension ou l’hostilité.
Son style, reconnaissable entre mille, emprunte à la tradition classique tout en en subvertissant les codes. Sa phrase est longue, sinueuse, d’une précision parfois chirurgicale, toujours élégante. Il excelle dans l’art de la description psychologique, de l’observation cruelle mais juste, du portrait qui révèle une vérité cachée. Le monde littéraire, qu’il a si souvent décrit, n’est jamais épargné. Mais c’est aussi parce qu’il aime les livres, la langue française, et la littérature qu’il se montre si exigeant, si tranchant parfois.
À côté de son œuvre romanesque, Rinaldi a aussi occupé une place de premier plan comme critique littéraire. Il collabore avec plusieurs grandes publications, où ses articles sont très attendus. Devenu rédacteur en chef d’un prestigieux supplément littéraire, il impose un ton, une exigence, une intransigeance qui en font l’un des critiques les plus respectés – et redoutés – de son époque. Il n’hésite pas à s’attaquer aux gloires établies, à dénoncer les impostures, à défendre des auteurs oubliés ou méconnus. Sa critique, parfois cruelle, est toujours fondée sur une analyse fine, un amour profond de la littérature, et une langue maîtrisée dans ses moindres nuances.
En 2001, Angelo Rinaldi est élu à l’Académie française. Son élection marque un tournant. D’abord parce qu’elle récompense une œuvre importante et un écrivain dont l’autorité morale et littéraire est reconnue. Ensuite parce qu’elle consacre un homme libre, à la marge des cercles de pouvoir, dont l’homosexualité, assumée dans un milieu encore conservateur, ne fut jamais un secret. Cette reconnaissance institutionnelle n’a rien changé à sa liberté de ton. Il n’est jamais devenu un académicien complaisant. Il a continué à défendre, dans ses discours comme dans ses écrits, une certaine idée de la littérature : exigeante, indépendante, vivante.
Son œuvre constitue un miroir sans fard de la société française de la seconde moitié du XXe siècle et du début du XXIe. Elle explore les tensions entre les classes, les provinces et la capitale, la tradition et la modernité, le paraître et l’intime. Elle est peuplée de personnages ambigus, d’êtres solitaires, d’enfants blessés, de femmes écorchées, d’hommes au bord du gouffre. Tout y respire la vérité d’une expérience humaine lucide, désenchantée, mais jamais cynique.
Rinaldi a souvent dit qu’un écrivain devait écrire ce qu’il pensait, sans chercher à plaire. Cette phrase résume à elle seule toute une trajectoire. Il aura été, jusqu’au bout, un écrivain de conviction, un styliste raffiné, un moraliste impitoyable, un amoureux de la langue française. Dans un monde littéraire parfois soumis à la dictature de la mode ou du marché, il représente une figure rare, peut-être même en voie de disparition : celle de l’écrivain libre, solitaire, fidèle à lui-même, à ses mots, à son île et à sa vérité.
Angelo Rinaldi s’est éteint, mais sa voix résonne encore. Elle continuera de le faire à travers ses livres, dans lesquels résonne le souffle d’un regard lucide, d’une écriture intransigeante, et d’un amour profond de la littérature. Son œuvre, dense, exigeante, précieuse, mérite d’être relue, redécouverte, transmise. Car au-delà du critique et de l’académicien, Rinaldi était avant tout un écrivain. L’un des derniers à croire que la littérature est une forme de courage. Et peut-être aussi, une forme de résistance.
📚 Romans
1969 – La Loge du gouverneur
Premier roman de Rinaldi, déjà remarqué pour son style acéré et son univers corse.1970 – La Dernière Fête de l’Empire
Exploration ironique des mœurs sociales et politiques contemporaines, sur fond de déclin et de désenchantement.1971 – La Maison des Atlantes
Ce roman lui vaut le Prix Femina. Il y affine son art du portrait psychologique et son sens aigu du détail cruel.1972 – Les Rideaux rouges
Une plongée dans l’univers théâtral et mondain, pleine d’ombres et de faux-semblants.1974 – L'Éducation de l'oubli
Roman de la mémoire et de la douleur sourde, marqué par un style plus mélancolique.1977 – Les Dames de France
Roman très remarqué, portrait grinçant d’une bourgeoisie provinciale en déclin.1980 – Bleu fuchsia
Une satire élégante du monde littéraire et de ses faux-semblants.1984 – Les Jardins du consulat
Récit nostalgique où la Corse revient en filigrane.1988 – Les Roses de Pline
Évocation historique et sensuelle d’un monde ancien, avec une prose plus baroque.1991 – La Confession des collines
Retour à une veine plus intimiste et introspective.1996 – Les jours ne s’en vont pas longtemps
Un des romans les plus sombres de l’auteur, marqué par une réflexion sur le vieillissement et la solitude.1998 – Rose Poussière
Mélange de portraits cruels et de réflexions désabusées sur le monde contemporain.
🖋 Essais, chroniques et récits personnels
1976 – Littérature et compagnie
Réflexions sur le métier de critique, sur l’écriture et sur ses contemporains.2003 – Le Bois des amours
Livre à mi-chemin entre l’essai et l’autobiographie, évoquant la mémoire, le désir et la filiation.2010 – Tout ce que je sais de moi
Mémoires littéraires, recueil de pensées et de confidences souvent indirectes.
🏛 Académie française
En 2001, Angelo Rinaldi est élu à l’Académie française, au fauteuil n°20, succédant à José Cabanis. Son discours de réception et ses interventions ultérieures au sein de l’institution témoignent de son attachement profond à la langue française, à la tradition classique, et à la nécessité d’une littérature exigeante et libre.
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