Antoine-Léon Conquet : le visionnaire de la bibliophilie française au XIXe siècle.

Antoine-Léon Conquet, né le 14 avril 1848 à Espalion dans l’Aveyron, est une figure emblématique du monde de la librairie parisienne au XIXe siècle, reconnu pour sa contribution exceptionnelle à la bibliophilie. Son parcours, débutant dans l’atelier d’un photographe à l’âge de 14 ans, le mènera à devenir l'un des principaux acteurs du marché du livre de luxe en France. Son histoire est celle d’un passionné, un éditeur minutieux et inventif, qui révolutionna la manière d’éditer des ouvrages de collection en s’efforçant de produire des éditions d’une qualité artistique sans précédent.

Après avoir fait ses premiers pas dans la librairie grâce à son cousin Pierre-Jean Rouquette, éditeur de Henry Cohen et de Georges Vicaire, Conquet passe ensuite sous l’égide d’un autre cousin, Antoine Garrousse. Installé boulevard de Bonne Nouvelle à Paris, il est rapidement influencé par le mouvement bibliophile en pleine expansion. Dans le contexte de la guerre franco-allemande, il rejoint la Légion bretonne, marquant son engagement pour la France, puis il retourne à la librairie. C’est chez Garrousse qu’il s’oriente vers la publication d’œuvres romantiques et d’éditions illustrées du XIXe siècle, suscitant l’intérêt des amateurs de beaux livres.

En 1874, Conquet succède à Garrousse et, en 1880, il établit sa librairie au 5 rue Drouot, une adresse qui deviendra légendaire dans le milieu bibliophile. Il y fonde un lieu de rencontre pour les passionnés, où chaque soir, des fervents du livre ancien et des éditions d'art se rassemblent. Ce choix d’emplacement marque un tournant stratégique, en opposition à Damascène Morgand, alors établi au passage des Panoramas, reconnu comme le centre du livre ancien. Conquet, quant à lui, cherche à apporter une vision nouvelle, une bibliothèque vivante et innovante, au cœur de Paris.

L’art de l’édition chez Conquet : l’excellence de la forme et du contenu

Conquet est un pionnier dans l’édition de livres de luxe au XIXe siècle. Il s’attache à produire des éditions limitées, illustrées par les meilleurs artistes de l’époque, telles que les compositions de Moreau le jeune, gravées par Dubouchet, ou encore celles de Sahib pour Mon oncle Benjamin de Claude Tillier (1881). Son édition de Mon oncle Benjamin, par exemple, comprend des illustrations gravées sur bois par Prunaire, accompagnées d’une préface de Charles Monselet et d’un exemplaire unique tiré sur papier japonais, une innovation pour l'époque. Conquet comprend l'importance de la diversité dans l’esthétique de ses publications, offrant ainsi aux collectionneurs des œuvres variées et précieusement illustrées, comme en témoigne Jules Le Petit dans L'Art d'aimer les livres et de les connaître (1884) : « L’éditeur a compris que les collections de volumes du même format, ornés de la même façon, par les mêmes artistes ou les mêmes procédés, devenaient d’une monotonie désespérante. »

Les éditions phares : du romantisme à la modernité littéraire

Parmi les œuvres marquantes de Conquet, on retrouve des classiques réédités avec un soin remarquable. La Chartreuse de Parme de Stendhal (1883) est un exemple emblématique, enrichi de 32 eaux-fortes par V. Foulquier. Conquet s’illustre aussi dans l’édition de textes contemporains comme Les Œillets de Kerlaz d’André Theuriet (1885), avec des eaux-fortes de Rudaux, et Ruy Blas de Victor Hugo (1889), sublimé par les gravures d’Adrien Moreau. Chaque édition est conçue dans une logique de raffinement et de beauté, répondant aux attentes des bibliophiles tout en enrichissant le patrimoine littéraire par une valeur artistique incomparable.

La relation privilégiée avec les bibliophiles et l’impact culturel

Conquet devient, au fil du temps, un acteur incontournable dans le cercle des « Amis des Livres », une société prestigieuse de bibliophiles, pour laquelle il édite des ouvrages en tirages limités. Ces ouvrages se caractérisent par leur rareté et leur qualité. Il publie également des œuvres critiques et bibliographiques comme Bibliographie des ouvrages illustrés du XIXe siècle (1883), contribuant à l'essor de la connaissance et de la conservation du patrimoine littéraire. Son attachement au détail et au travail d’artisans de renom, tels que les relieurs Marius Michel et Mercier, lui vaut d'être considéré comme un perfectionniste, veillant à chaque aspect de ses livres.

La fin d’une ère : décès et héritage

Le décès prématuré de Conquet, à l’âge de 49 ans en 1897, marque la fin d’une carrière brillamment menée. Sa bibliothèque personnelle, composée d’ouvrages édités par ses soins et agrémentés d’aquarelles, de dessins originaux et d’épreuves d’artistes, fut mise en vente aux enchères en 1898, suscitant l’enthousiasme des collectionneurs et atteignant des prix exceptionnels. Sa contribution au monde de l’édition et son engagement pour l’excellence artistique lui valent d’être un pionnier respecté, et sa librairie reste un symbole de l’amour des beaux livres.

Antoine-Léon Conquet demeure une figure incontournable de la bibliophilie française du XIXe siècle. Ses éditions limitées, illustrées par des artistes de renom et reliées par les meilleurs artisans, témoignent de sa volonté de faire du livre un objet d’art. Ses œuvres continuent d’inspirer les bibliophiles et les éditeurs contemporains, qui reconnaissent en lui un modèle de passion et de rigueur. Sa librairie, sise rue Drouot, fut bien plus qu’un commerce : elle était un sanctuaire du livre, un lieu de rencontres et de découvertes littéraires qui contribua à forger l’identité culturelle de l’époque.