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Les Fables de La Fontaine revisitées : l’imagination contrastée de Grandville et Gustave Doré au 19e siècle.

Loin des illustrations légères ou satiriques, Gustave Doré propose une lecture plus originale et profonde des Fables de La Fontaine. Ses illustrations oscillent entre réalisme et fantastique, offrant un contrepoint saisissant au texte. Au XIXe siècle, deux artistes dominent l’histoire de l’édition des Fables de La Fontaine grâce à leur imagination prolifique : Grandville et Gustave Doré.

Les visions contrastées de Grandville et Doré

Les illustrations de Grandville, publiées à Paris de 1838 à 1840, présentent une version comique des Fables, fidèle à la tradition satirique des siècles précédents. Grandville utilise les décors, costumes et attitudes de son époque pour illustrer les Fables, montrant que les comportements humains restent constants à travers les âges. Ses dessins, imprégnés d’une philosophie désabusée, révèlent un sentiment que la vie n’est qu’un grand manège, une comédie humaine éternelle où la vanité et l’envie dictent les comportements.

En revanche, Gustave Doré, dont les illustrations parurent en 1867, offre une vision sombre et tragique des Fables. Ses œuvres ne cherchent pas à provoquer le rire, mais à susciter la terreur et la pitié. Doré utilise deux types de compositions : des vignettes légères en tête de chaque fable et des grandes planches hors texte où son imagination de peintre s’exprime librement.

Le réalisme fantastique de Gustave Doré

Doré se distingue par un réalisme fantastique qui sert de ressort au fantastique. Il représente la nature avec une précision quasi scientifique, surpassant même ses prédécesseurs comme Grandville. Par exemple, lorsqu'il dessine un lion pour « Le lion et le rat », il le fait avec la minutie d’un peintre animalier, plaçant souvent ses sujets dans des paysages exotiques. Dans « Les animaux malades de la peste », chaque espèce animale est identifiable, rendant l’illustration aussi instructive qu’artistique.

Cependant, ce réalisme ne contredit pas l’esprit des Fables, mais l’enrichit en créant des images frappantes et inquiétantes. Doré place au premier plan des créatures étranges comme des crocodiles, des hiboux et des rhinocéros, ajoutant une dimension d’inquiétude et de fantastique à ses œuvres. Son approche rappelle celle de Jérôme Bosch, peuplant ses illustrations de figures grotesques et chimériques qui évoquent des dissonances morales, reflétant la discordance entre la beauté des discours et la réalité sauvage des comportements humains.

La forêt comme motif récurrent

La forêt est un motif récurrent dans les œuvres de Doré, symbole de l’effroi et de la condition tragique de l’homme. Dans des fables comme « La Mort et le bûcheron » ou « Le bûcheron et Mercure », la forêt devient un personnage à part entière, représentant le danger et l’égarement. Pour « Le loup et le chasseur », Doré s’inspire de Jean-Baptiste Oudry mais déplace la scène dans les profondeurs d’une forêt menaçante, transformant le décor en symbole de la menace, la convoitise et l’avarice.

Les effets dramatiques de la lumière et des ombres

Doré utilise la lumière et les ombres pour intensifier le drame de ses illustrations. La nuit et les ciels tourmentés, chargés d’orage, sont des éléments essentiels de son univers visuel. Dans « Les loups et les brebis », par exemple, la scène nocturne éclaire la menace des loups, ajoutant une dimension mythique et inquiétante à l’illustration. De même, dans « La Mort et le bûcheron », l’ombre de la mort se profile parmi les arbres, créant une perspective centrale qui dramatise l’apparition inéluctable de la fin.

Les références picturales de Doré

Un aspect notable des œuvres de Doré est sa culture picturale riche, intégrant des citations et références à d’autres artistes. Dans « Le meunier, son fils et l’âne », il rend hommage à Honoré Daumier, tandis que dans « L’hirondelle et les petits oiseaux », il évoque le Semeur de Jean-François Millet. Ses illustrations de cerfs doivent beaucoup à Courbet, malgré des relations personnelles tendues entre les deux artistes. Doré s’inscrit ainsi dans une tradition artistique tout en apportant une dimension symbolique et allégorique unique à ses œuvres.

Conclusion

Les illustrations de Gustave Doré des Fables de La Fontaine sont une interprétation visuelle ambitieuse et complexe. En conjuguant réalisme et fantastique, en jouant avec la lumière et les ombres, et en intégrant des références picturales riches, Doré parvient à enrichir les textes de La Fontaine de nouvelles dimensions symboliques et allégoriques. Ses œuvres sont un témoignage de l’imagination et de la profondeur artistique du XIXe siècle, offrant une vision unique et troublante des célèbres fables.

Le loup et le chasseur | © Bibliothèque nationale de France

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