Breyten Breytenbach : une vie dédiée à l'art, à la justice et à l'humanité.

Breyten Breytenbach, écrivain, poète, peintre et militant sud-africain emblématique de la lutte contre l'apartheid, s’est éteint paisiblement à Paris, à l’âge de 85 ans. Ce géant des lettres, qui a su conjuguer une œuvre artistique exceptionnelle avec un engagement politique sans faille, laisse derrière lui un héritage inestimable. Son décès, annoncé le 24 novembre 2024 par sa fille Daphnée Breytenbach, marque la fin d’une vie riche en combats et en créativité.

L'exil comme matrice de la création

Né le 16 septembre 1939 à Bonnievale, dans la province du Cap, Breyten Breytenbach grandit au sein d’une famille afrikaner modeste. Dès son plus jeune âge, il manifeste une profonde révolte face à l’injustice de la ségrégation raciale imposée par le régime d’apartheid en Afrique du Sud. Refusant de se conformer à un système oppressif, il quitte son pays natal à seulement 20 ans pour entamer un exil qui deviendra le moteur de son œuvre.

Arrivé en France en 1960 après quelques années d'errance en Europe, il s’installe à Paris. Ce choix marque le début d’une vie partagée entre plusieurs continents : l’Europe, les États-Unis, le Sénégal — où il dirigera l’Institut Gorée pour la paix en Afrique — et de brèves incursions en Afrique du Sud. Ce parcours de citoyen du monde lui permet de développer une perspective unique sur les luttes pour la justice et la liberté, thématiques centrales de son travail.

Un écrivain de la révolte et de l’introspection

Écrivain prolifique, Breytenbach a enrichi la littérature de près de cinquante ouvrages, mêlant poésie, prose et essais. Écrivant principalement en afrikaans, sa langue maternelle, il a su donner une portée universelle à ses textes en explorant les thèmes de l’exil, de la résistance et de la quête de sens. Parmi ses œuvres les plus marquantes figurent Confession véridique d’un terroriste albinos et Une saison au paradis. Ces récits autobiographiques témoignent de son expérience carcérale et de son engagement inébranlable contre l’oppression.

En 1975, Breytenbach rentre clandestinement en Afrique du Sud sous un faux nom afin de soutenir la lutte contre l’apartheid. Arrêté et accusé de "terrorisme", il est condamné à sept ans de prison, dont deux passés à l’isolement total. Cette période sombre marque profondément son écriture, infusant ses textes d’une lucidité brutale et d’une poésie d’une rare intensité.

Même après l’avènement de la démocratie en 1994, Breytenbach ne renonce pas à son rôle de conscience critique. Dans une lettre ouverte adressée à Nelson Mandela en 2008, il rappelle que "les écrivains ne doivent jamais cesser d’être des voix dissidentes face aux puissants, et des alliés des opprimés". Ce credo, il l’a appliqué jusqu’à ses derniers jours.

Un artiste aux multiples facettes

Outre sa carrière littéraire, Breyten Breytenbach était également un peintre accompli. Son art visuel, tout aussi engagé que sa plume, est peuplé de figures surréalistes, souvent enfermées dans des espaces clos, métaphore poignante de l’enfermement sous l’apartheid. Ses œuvres ont été exposées dans les galeries du monde entier, reflétant une créativité aussi foisonnante que singulière.

Ses contributions à la culture et à la lutte pour la justice ont été largement reconnues. En France, où il a obtenu la nationalité en 1982 grâce à l’intervention du président François Mitterrand, il a été élevé au rang de chevalier de la Légion d’honneur et commandeur des Arts et des Lettres, témoignant de l'impact de son œuvre bien au-delà des frontières sud-africaines.

Un engagement sans compromission

Jusqu’à la fin de sa vie, Breyten Breytenbach a incarné un engagement intransigeant envers ses idéaux. Déçu par la corruption et l'inefficacité de l’élite politique sud-africaine post-apartheid, il n’a jamais hésité à critiquer ouvertement ceux qu’il considérait comme ayant trahi les espoirs de liberté et de justice portés par la lutte anti-apartheid. "Une parade sans fin de clowns corrompus", écrivait-il à propos de ces dirigeants, rappelant à quel point son esprit restait indomptable.

Son décès laisse un vide immense dans le paysage culturel et politique mondial. Mais son héritage, lui, demeure. "Ses mots, ses toiles, son imagination, sa résilience continueront à nous guider", a déclaré sa fille, soulignant la pérennité de son influence.

Un héritage pour l’humanité

Breyten Breytenbach ne fut pas seulement un écrivain et un artiste ; il fut avant tout une conscience. À travers son œuvre littéraire et picturale, il a su transcender les frontières culturelles et linguistiques pour toucher à l’universel. Sa vie, marquée par l’exil, l’engagement et la création, est un témoignage vibrant de ce que peut accomplir un individu armé de son art et de ses convictions.

Alors que le monde rend hommage à cet homme hors du commun, ses écrits et ses peintures continuent d’inspirer. Ils rappellent qu’un engagement sincère, même face à l’adversité, peut transformer l’histoire et ouvrir de nouvelles perspectives d’espoir et de liberté.