Parmi les trésors les plus fascinants de la culture antique figure un joyau d’exception : l’Iliade ambrosienne, un...
Charles-Jérôme de Cisternay du Fay : une vie entre guerre, livres et passion bibliophile.
Né à Paris le 2 juillet 1662, Charles-Jérôme de Cisternay du Fay, issu d’une ancienne lignée tourangelle dédiée à la carrière militaire, fut un personnage singulier de la fin du Grand Siècle et du début du XVIIIe siècle. Son existence, marquée par la guerre, la littérature et une quête insatiable de savoir, témoigne de l’évolution des mentalités bibliophiles de son époque.
Origines et formation : un héritage martial mêlé de curiosité intellectuelle
Fils de Catherine Duret et de Charles de Cisternay, seigneur du Fay et capitaine des gardes du prince de Conti, Charles-Jérôme grandit dans un milieu profondément marqué par les armes et les ambitions militaires. Son père, quoique militaire, nourrissait une fascination pour la chimie et rêvait de percer le mystère de la pierre philosophale. Cette combinaison d'ardeur martiale et de curiosité intellectuelle devait influencer durablement le jeune Charles-Jérôme.
Il étudia au collège de Clermont, aujourd’hui lycée Louis-le-Grand, où il se distingua par son amour des livres. Ses auteurs de prédilection, selon l’abbé Michel Brochard, étaient les poètes latins comme Virgile, Horace et Térence. Ce goût pour les belles-lettres et l’histoire ne le quitta jamais, même après qu’il eut choisi la carrière militaire.
Une vie marquée par la guerre et le handicap
En 1695, alors qu’il servait comme lieutenant dans le régiment des Gardes françaises, Charles-Jérôme fut gravement blessé lors du bombardement de Bruxelles : un boulet emporta sa jambe gauche. Cette blessure, qui lui valut l’ordre militaire de Saint-Louis, mit un terme progressif à sa carrière militaire, bien qu’il atteignît le grade de capitaine en 1705. Contraint d’abandonner définitivement le service actif en raison de son handicap, il consacra dès lors son énergie à sa passion pour les livres.
La bibliothèque de Du Fay : une collection exceptionnelle
À partir de 1705, Du Fay commença à constituer une bibliothèque d'une richesse exceptionnelle. Économe sur ses dépenses personnelles, il ne ménagea ni efforts ni argent pour acquérir les ouvrages rares et précieux qui l’attiraient. Sa collection, évaluée à environ 25 000 écus, était reconnue pour la rareté et la qualité de ses éditions, ainsi que pour la beauté de ses reliures, souvent réalisées par des artisans renommés comme Duseuil, Padeloup ou Boyet.
Comme le souligne Fontenelle dans son éloge de Du Fay, il entretenait des relations avec les plus célèbres libraires et savants de son temps. Sa bibliothèque comportait des manuscrits uniques et des éditions remarquables en histoire, belles-lettres, théologie, sciences, et jurisprudence. Parmi les trésors qu’elle renfermait figuraient des œuvres reliées dans le style de Grolier, notamment un exemplaire des Œuvres de Horace (Strasbourg, 1498) ou encore le célèbre Corpus juris civilis (Amsterdam, Elzevir, 1664).
L’apprentissage du grec et le raffinement bibliophile
À quarante ans, Du Fay se mit à l’étude du grec, motivé par le désir de lire les œuvres originales qu’il collectionnait. Cette démarche témoigne de sa volonté de concilier érudition et bibliophilie. Il ne se contentait pas d’accumuler des volumes rares pour leur beauté ou leur valeur, mais cherchait à en approfondir le contenu.
La préface du catalogue de sa bibliothèque, rédigée par l’abbé Brochard, met en lumière son caractère : un homme d’une grande douceur, discret mais jovial, et toujours prêt à partager les trésors de son cabinet avec ses amis. Brochard, lui-même bibliophile, devint un proche de Du Fay grâce à leur passion commune pour les livres.
La vente de la bibliothèque : un événement majeur
En 1723, après avoir été victime d’un accident vasculaire cérébral, Du Fay se retrouva hémiplégique. La publication du catalogue de sa bibliothèque, sous le titre Bibliotheca Fayana, fut organisée peu après. Ce catalogue, compilé par le libraire Gabriel Martin, comptait 4 414 lots répartis en plusieurs catégories : histoire, belles-lettres, théologie, sciences et arts, et jurisprudence.
Le catalogue soulignait la rareté et la qualité des ouvrages, ainsi que le soin apporté aux reliures, souvent en maroquin de diverses couleurs. Un portrait de Du Fay, gravé par Pierre-Imbert Drevet d’après Hyacinthe Rigaud, ornait le frontispice, mettant en valeur ses armoiries et sa devise : Me læsit Mavors, læsum mulsere Camœnæ (« Mars m’a blessé, les Muses ont adouci ma blessure »).
La réception de la bibliothèque par ses contemporains
Si certains, comme le président Jean Bouhier, critiquèrent l’aspect plus « curieux » que « savant » de la collection, d’autres admirèrent sa richesse et son originalité. Le comte d’Hoym, ambassadeur du roi de Pologne, acquit une grande partie de la collection pour enrichir ses propres bibliothèques.
Du Fay incarnait un modèle nouveau de bibliophile, éloigné du paradigme strictement érudit de Gabriel Naudé, auteur de l’Advis pour dresser une bibliothèque (1627). En rassemblant des éditions rares, des livres de chevalerie, et des manuscrits précieux, il contribua à populariser une approche plus esthétique et passionnée de la bibliophilie.
Héritage et postérité
Charles-Jérôme de Cisternay du Fay s’éteignit le 24 juillet 1723. Son fils, Charles-François, poursuivit l’œuvre de son père, devenant intendant du Jardin des plantes et membre de l’Académie des sciences. Quant à sa bibliothèque, elle continue de fasciner les historiens et amateurs de livres rares.
Ainsi, la vie de Du Fay illustre à merveille la transition d’un modèle de collection savante à un modèle plus orienté vers la rareté, la beauté, et le plaisir personnel, préfigurant la bibliophilie moderne.
Laissez un commentaire
Connectez-vous pour publier des commentaires