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Éditions originales en bande dessinée : reconnaître, comprendre, collectionner.
Introduction : Derrière la couverture, la valeur cachée
L’univers de la bande dessinée regorge de trésors discrets, parfois dissimulés derrière une couverture familière. Deux albums de Tintin identiques au premier coup d’œil peuvent pourtant présenter des différences de valeur considérables. Pourquoi ? Parce que l’un est une édition originale, l’autre une réimpression. Pour le bibliophile comme pour l’amateur de bande dessinée, savoir reconnaître une édition originale (EO) est une compétence précieuse, à la croisée de la passion, de l’histoire du livre et de l’expertise.
Qu’est-ce qu’une édition originale ?
En bande dessinée, l’édition originale désigne le premier tirage commercialisé d’un album ou d’un fascicule. Elle peut être distinguée par divers critères : date d’édition, numéro de dépôt légal, état du dos, prix affiché, mentions spécifiques à l’éditeur, ou encore particularités d’impression.
Mais attention : une EO n’est pas toujours la première version du récit. Certains albums ont d’abord paru en feuilleton dans des revues (Tintin, Spirou, Pilote, Vaillant...), avant d’être publiés en album. Ainsi, la première apparition d’un héros peut précéder de plusieurs années son premier album en EO.
Critères d’identification d’une EO
Reconnaître une EO demande une attention aux détails. Voici les principaux éléments à observer :
1. Date d’édition et dépôt légal
Le dépôt légal (mention légale de date d’impression) est une première indication, mais il n’est pas toujours fiable seul. Certaines rééditions conservent la date d’origine.
2. Dos de l’album
Dans la BD franco-belge, le type de dos (dos toilé, dos cartonné, dos rond, dos carré) est un repère fréquent :
Tintin au pays des Soviets : dos cartonné noir → EO de 1930.
Le Sceptre d’Ottokar : dos rouge, 4e plat "A" (selon la classification BDM) → EO.
3. 4e de couverture (ou "4e plat")
C’est souvent le meilleur indice visuel. Les éditions Casterman, par exemple, modifiaient régulièrement leur 4e plat pour y ajouter les albums parus. Un 4e plat montrant seulement huit titres indique une EO plus ancienne qu’un 4e plat en listant seize.
4. Prix imprimé
La présence d’un prix imprimé (ex. : "Prix : 50 francs") est un marqueur. Une EO comportera souvent le prix de l’époque, alors que les rééditions peuvent avoir un sticker, une impression plus récente ou une absence totale.
5. Mentions d’impression
Certains albums comportent une mention comme "dépôt légal : 1er trimestre 1956 – n° d’édition : 1". Très utile… si elle n’a pas été reproduite à l’identique dans une réédition !
6. Particularités graphiques
Couleurs, lettrage, erreurs typographiques corrigées par la suite, absence de code ISBN ou de code-barres, présence d’un logo ancien : tous ces éléments sont des indices.
Quelques cas emblématiques
Hergé – Tintin au Congo (Casterman, 1931)
L’EO est en noir et blanc, dos cartonné noir, sans titres au 4e plat. Il s’agit d’un album très recherché, dont la cote atteint plusieurs milliers d’euros selon l’état.
Franquin – Il y a un sorcier à Champignac (Dupuis, 1951)
L’EO présente un dos toilé rouge, un 4e plat "1949" (avec des séries comme Lucky Luke, Buck Danny, Tif et Tondu), et un prix imprimé en francs belges.
Peyo – La flûte à six Schtroumpfs (Dupuis, 1960)
Attention : bien que l’album introduise les Schtroumpfs dans Johan et Pirlouit, il existe plusieurs tirages la même année. Seuls les premiers présentent certaines nuances de couleurs et un 4e plat spécifique.
Pourquoi collectionner les EO ?
L’édition originale est au cœur de la bibliophilie BD. Elle combine :
Valeur historique : elle témoigne d’un moment précis, d’une version première.
Valeur financière : certaines EO bien conservées atteignent des prix très élevés (jusqu’à 10 000 € ou plus).
Valeur affective : retrouver l’album tel qu’il a été publié pour la première fois, avec ses imperfections, ses papiers jaunis, ses odeurs d’encre, relève d’un plaisir intime.
Les pièges à éviter
Les fac-similés : certaines maisons rééditent des EO à l’identique. Bien qu’intéressants pour la lecture, ils n’ont pas la même valeur.
Les EO partielles : un album peut être une EO du récit, mais pas du format (par exemple une EO brochée transformée ensuite en version cartonnée).
Les états trompeurs : un album en excellent état mais sans les bons repères d’identification n’est pas nécessairement une EO. Et inversement, une EO abîmée peut garder sa valeur pour un collectionneur averti.
Ressources et outils pour collectionneurs
Le BDM (Bottin des Albums de BD) : indispensable pour connaître la cote et les identifiants des éditions originales.
Les forums spécialisés (BDGest, BDPF, etc.) : pour partager des photos, poser des questions, comparer.
Les libraires spécialisés comme ABAO : véritables garants du sérieux, ils conseillent, expertisent, authentifient.
Conclusion : L’art de lire entre les pages
Identifier une édition originale n’est pas une science exacte, mais une pratique savoureuse, à la croisée de la détection, de l’amour du livre et de la passion graphique. C’est une manière de relire les grands classiques autrement, avec l’œil de l’historien, de l’amateur ou du collectionneur. Chaque détail compte, chaque édition raconte une autre facette de l’œuvre.
Dans les rayons d’une bouquinerie, un album jauni peut valoir de l’or — pour peu qu’on sache lire au-delà de la couverture.
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