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Elias Khoury : une voix littéraire, marquée par l'exil et la cause palestinienne, s'est éteinte.
Elias Khoury, un géant de la littérature arabe contemporaine, nous a quittés le 15 septembre, à l'âge de 76 ans, après avoir longtemps lutté contre une maladie. Né à Beyrouth en 1948, Khoury a grandi dans un Liban en proie aux bouleversements politiques, un contexte qui marquera profondément son œuvre littéraire et son engagement. Romancier, essayiste, et figure intellectuelle de premier plan, il a su, à travers ses écrits, traiter avec finesse et profondeur des questions de la mémoire, de l'exil, et surtout de la cause palestinienne.
La cause palestinienne au cœur de l'œuvre
Dès les années 1970, Elias Khoury s'impose comme un fervent défenseur des droits des Palestiniens. Son engagement pour cette cause s’est manifesté à travers son rôle de rédacteur en chef de la revue Les affaires palestiniennes et dans sa collaboration avec des figures marquantes comme Mahmoud Darwich, célèbre poète palestinien. Mais c’est surtout dans ses romans que cet engagement prend tout son sens. L'œuvre la plus emblématique de Khoury à cet égard est sans doute La porte du Soleil, un roman monumental publié en 1998, puis traduit en français en 2002 chez Actes Sud. Ce texte, qui narre le destin tragique des réfugiés palestiniens suite à la Nakba de 1948, est unanimement considéré comme un chef-d’œuvre de la littérature sur le conflit israélo-palestinien.
Ce roman, inspiré par les récits des Palestiniens exilés dans les camps du Liban, explore avec une intensité rare les thèmes de la perte, de l'appartenance et de la mémoire collective. Adapté au cinéma par le réalisateur égyptien Yousri Nasrallah, La porte du Soleil transcende la simple chronique historique pour s’inscrire dans une réflexion universelle sur l’exil et l’identité. À travers la fiction, Khoury redonne une voix à ceux que l’histoire officielle a négligés.
Une littérature marquée par la guerre civile libanaise
Si la cause palestinienne constitue l’un des piliers de son œuvre, Khoury a également beaucoup écrit sur les souffrances de son propre pays. La guerre civile libanaise, qui a déchiré le Liban de 1975 à 1990, a profondément marqué sa vie et son œuvre. Dans La petite montagne (1985), un autre de ses romans majeurs, il aborde de façon fragmentée le chaos de cette période. Khoury ne se contente pas de raconter les événements, mais il cherche à comprendre comment la violence et la destruction affectent la mémoire individuelle et collective. Ce style narratif fragmenté, qui deviendra une marque de fabrique de l’écrivain, reflète la difficulté à saisir la totalité d'une histoire aussi complexe et douloureuse.
Au-delà de La petite montagne, d'autres œuvres telles que Les enfants du ghetto et Yalo plongent dans les mêmes thématiques. Khoury s’interroge sur les cicatrices laissées par la guerre, non seulement sur le corps et l’esprit des survivants, mais aussi sur l’identité nationale et culturelle du Liban. En cela, son œuvre rejoint celle de nombreux autres auteurs libanais contemporains qui, à l’instar de Ghassan Kanafani ou Hanan el-Cheikh, ont exploré les conséquences de la guerre sur la société arabe.
L’héritage littéraire de Khoury
Au-delà de ses romans, Elias Khoury a aussi laissé une empreinte durable dans le domaine académique. Il a enseigné dans plusieurs universités prestigieuses, telles que l'Université de New York et l'Université américaine de Beyrouth. Il a formé une génération d'étudiants à la littérature arabe moderne tout en demeurant une figure publique engagée dans les débats politiques et intellectuels du Moyen-Orient. Son travail journalistique et son rôle de critique littéraire ont renforcé sa position en tant que penseur incontournable du monde arabe contemporain.
L’influence de Khoury se prolonge également à travers son usage d’un style narratif mêlant fiction et réalité. Cette approche non linéaire, semblable à celle de William Faulkner ou de Marcel Proust, permet à Khoury d'explorer les complexités du temps, de la mémoire et de la vérité. Il y a chez lui un refus de simplifier, un refus de réduire les personnages et les événements à des schémas binaires ou manichéens. Chaque roman devient ainsi un miroir reflétant non seulement l'histoire du Liban ou de la Palestine, mais aussi les grandes questions universelles de l'humanité.
L’influence des livres anciens
Elias Khoury, dans sa recherche constante de compréhension des traumatismes de l'exil et de la guerre, s’est nourri de nombreuses lectures, y compris de textes anciens. Dans ses écrits, il fait souvent écho à des œuvres classiques du patrimoine littéraire arabe, telles que les chroniques médiévales ou les récits mystiques. Par exemple, La porte du Soleil peut être rapproché des grandes épopées de la littérature arabe classique, telles que les Mille et une nuits, où le récit se déploie en plusieurs strates, avec une multiplicité de voix et de perspectives.
De même, son exploration de la mémoire collective s'inscrit dans une tradition littéraire ancienne, qui trouve ses racines dans des textes comme ceux d'Ibn Khaldoun, historien et philosophe du XIVe siècle. En scrutant les dynamiques de pouvoir et les cycles de la violence, Khoury reprend cette réflexion à la lumière des conflits modernes, offrant ainsi une lecture contemporaine de ces œuvres intemporelles.
Elias Khoury laisse derrière lui un héritage littéraire qui continuera à influencer les générations futures. Son œuvre, profondément ancrée dans les réalités tragiques de la Palestine et du Liban, dépasse ces frontières pour toucher à l'universel. Son engagement inébranlable pour la justice et son refus des simplifications faciles font de lui une figure incontournable de la littérature contemporaine. À travers ses romans, ses essais et son enseignement, Khoury a su allier la profondeur intellectuelle à une sensibilité humaine rare, faisant de son œuvre un pont entre les cultures et les époques.
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