Érard de La Marck (1472–1538), fastueux prélat et mécène de la Renaissance liégeoise.

Au carrefour du pouvoir politique, du raffinement artistique et de l’ambition diplomatique, la figure d’Érard de La Marck s’impose comme l’une des plus éclatantes incarnations de la Renaissance septentrionale. Prince-évêque de Liège pendant plus de trois décennies, il fut à la fois homme d’Église, stratège habile, protecteur des arts et collectionneur passionné. Son mécénat éclaire d’un jour nouveau l’histoire culturelle du territoire liégeois et la place qu’il sut reconquérir sur la scène européenne.

Un destin d'Église, une ambition de couronne

Né à Sedan en 1472, troisième fils de Robert de La Marck, Érard est très tôt destiné à une carrière ecclésiastique. Après des études de droit canon à Cologne et un passage remarqué à la Curie romaine, il tisse des liens diplomatiques solides, notamment avec le cardinal d’Amboise, bras droit du roi Louis XII. Ce réseau d’influence lui permet de se faire élire prince-évêque de Liège dès 1505, après la mort de Jean de Hornes. Mais cet accès au trône épiscopal n’était qu’un tremplin : Érard visait la pourpre cardinalice et davantage encore, une stature digne des grands prélats d’Italie.

Bien que ses espoirs ne soient initialement que partiellement exaucés — malgré la nomination au siège de Chartres en 1507 —, il finit par obtenir le cardinalat en 1521, grâce à son habile réalignement politique en faveur de Charles Quint. Il perd alors Chartres mais gagne Tolède, l’abbaye Saint-Michel d’Anvers et l’estime durable des Habsbourg. Cette fidélité politique ne fut pas sans contrepartie : Marie de Hongrie, régente des Pays-Bas, le surnommait ironiquement le « très dangereux épicier », soulignant l’appétit d’Érard pour les richesses.

Un palais pour la Renaissance

À Liège, Érard de La Marck se révèle non seulement gestionnaire efficace mais aussi bâtisseur visionnaire. Il supervise la reconstruction du palais des princes-évêques, incendié en 1505, en s’inspirant de modèles italiens et français. Ce nouvel édifice devient un manifeste architectural de la Renaissance dans la principauté. Il y projette également un ambitieux musée de peintures, statues et antiquités, dont la réalisation fut interrompue par sa mort, mais qui révèle la profondeur de sa sensibilité esthétique.

Le prince-évêque commande aussi l’un des chefs-d’œuvre de l’orfèvrerie religieuse de son temps : le buste reliquaire de saint Lambert, réalisé par Hans von Reutlingen. Érard y intègre des perles et pierres précieuses acquises lors d’un voyage en Italie en 1509, dans l’entourage du roi de France. Exposé en 1512 dans la cathédrale Saint-Lambert, ce buste subsiste aujourd’hui comme un joyau du Trésor de Liège.

Un mécène à la cour des lettres et des arts

L’entourage du cardinal s’illustre par la présence de figures majeures de l’humanisme. Il attire à lui l’érudit Girolamo Aleandro, ancien recteur de l’Université de Paris et collaborateur de l’imprimeur Alde Manuce. Si Aleandro servira aussi ses propres ambitions, il incarne le prestige intellectuel qu’Érard s’attache à réunir à Liège.

Érasme lui-même dédia au prélat plusieurs de ses œuvres, dont une somptueuse édition sur vélin de ses Paraphrases et de sa Bible, espérant en retour une pension qui ne viendra jamais. Dans une lettre de 1523, l’humaniste se plaint de cette ingratitude, mais ses témoignages révèlent surtout le goût d’Érard pour les livres précieux, enluminés, parfois illustrés à la main, perpétuant les codes du manuscrit médiéval à l’ère de l’imprimé.

Juan Luis Vivès lui adresse une édition commentée du Songe de Scipion de Cicéron, preuve que le prince-évêque était reconnu comme un protecteur des lettres, à l’instar de Marguerite d’Autriche ou d’Albert de Brandebourg.

Un trésor aujourd’hui dispersé

La fortune d’Érard de La Marck était à la hauteur de son rang et de ses aspirations : à sa mort, elle est estimée à 500.000 florins. Cette richesse se reflète dans l’ampleur de ses collections, en particulier son impressionnant ensemble de tapisseries — près de 250 pièces provenant de Tournai, Enghien, Bruxelles ou Paris — dispersées dans ses résidences de Huy, Anvers, Curenge ou Bruxelles. Plusieurs de ces œuvres ont été conservées par ses héritiers, les d’Arenberg, avant d’être vendues à des musées américains au XXe siècle.

Son argenterie, quant à elle, dépassait la tonne. Façonnée par des orfèvres flamands et liégeois, elle impressionne les contemporains. Un émissaire d’Henri VIII, venu à Anvers en 1538, tente même de bloquer la vente d’une partie de ce trésor au roi de France pour en réserver l’achat à l’Angleterre. Hélas, le destin de cette collection est inconnu.

Un projet muséal avorté

Parmi ses dernières initiatives, l’envoi de son peintre attitré Lambert Lombard à Rome pour acquérir des œuvres antiques et modernes visait à doter son palais d’un véritable musée d’inspiration italienne, pionnier au nord des Alpes. Lombard fréquente alors les cercles humanistes du Vatican, guidé par le cardinal Reginald Pole. Mais la mort d’Érard en 1538 interrompt l’entreprise. Privé de revenus, Lombard doit rentrer précipitamment. Les acquisitions sont revendues, pour la plupart aux Médicis de Florence.

Une bibliothèque dans l’ombre

Malgré la renommée d’Érard comme mécène lettré, sa bibliothèque demeure en grande partie inconnue. Aucun inventaire ne nous est parvenu, et son testament ne fait pas mention explicite de ses livres. Quelques manuscrits identifiés — un livre d’Heures, un missel, un office des morts, une Vita Hadriani VI — témoignent néanmoins d’un goût prononcé pour les ouvrages luxueux, soigneusement enluminés, sans doute mêlés à une collection plus vaste de textes théologiques, juridiques et humanistes.

Postérité d’un mécène fastueux

Le faste d’Érard de La Marck, parfois critiqué pour son avidité, incarne cependant l’apogée du mécénat ecclésiastique à la Renaissance. Son goût pour l’art, les livres, l’architecture et le luxe s’inscrit dans la tradition des grands prélats italiens, faisant de Liège un foyer artistique vibrant. Si une grande part de son patrimoine s’est dissipée, son souvenir éclaire aujourd’hui encore l’histoire culturelle de la principauté et témoigne de l’ambition d’un homme qui voulut conjuguer pouvoir spirituel et beauté terrestre.

À lire pour aller plus loin :

• Bruno Demoulin & Jean-Louis Kupper, Histoire de la principauté de Liège : de l’an mille à la Révolution, Toulouse, 2002.

• Léon-E. Halkin, Le mécénat d’Érard de La Marck (1505–1538), La Vie wallonne, t. 54, 1980, p. 7–38.

• Jan-Karel Steppe & Guy Delmarcel, Les tapisseries du cardinal Érard de La Marck, Revue de l’Art, n°25, 1976, p. 35–54.

• Catalogue de l’exposition Lambert Lombard, peintre de la Renaissance, Liège, 2006 (sous la direction de G. Denhaene).

• Joseph Brassine, L’argenterie d’Érard de La Marck, Bulletin de l’Institut archéologique liégeois, t. 36, 1906.