Gabriel Martin : l’art du catalogue et la valorisation des trésors bibliophiliques.

Gabriel Martin, « faiseur de catalogues », occupe une place singulière dans l’histoire de la bibliophilie et de la librairie ancienne. Issu d'une lignée de libraires parisiens remontant au XVIe siècle, Martin est à l'origine d'une révolution dans la manière de concevoir les catalogues de vente, un outil essentiel pour les collectionneurs de livres anciens. En partenariat avec Prosper Marchand, il a contribué à perfectionner cet instrument crucial, tant pour les libraires que pour les amateurs éclairés.

L'évolution de la bibliophilie

Le développement de la bibliophilie, c'est-à-dire la passion pour la collection de livres en tant qu'objets, a marqué un tournant décisif dans la relation des lecteurs à l’écrit. Contrairement à la collecte de livres pour l’instruction, qui dominait jusqu’alors, les collectionneurs se sont progressivement tournés vers la recherche de l'ouvrage rare et précieux, un objet de plaisir esthétique et intellectuel. Ce changement a donné naissance à des librairies spécialisées dans le commerce de livres anciens et aux ventes aux enchères de collections privées.

Gabriel Martin et Prosper Marchand, deux libraires de renom, se sont associés pour répondre à cette nouvelle demande et proposer des catalogues de vente plus élaborés et plus méthodiques. Si Prosper Marchand fut connu pour son œuvre de libraire et d’historien de l’imprimerie, Gabriel Martin, quant à lui, joua un rôle prépondérant dans l’amélioration des pratiques commerciales liées aux ventes de livres.

Gabriel Martin, une lignée de libraires

Né à Paris en 1679, Gabriel Martin grandit dans un environnement propice à l’épanouissement de sa future carrière. Fils d’une famille de libraires et imprimeurs parisiens, il s’établit dans la rue Saint-Jacques, à l’enseigne de l’Étoile d’or, après avoir épousé la fille de Jacques Villery, un libraire auprès duquel il s'était formé. Cette union renforça son intégration dans la communauté des libraires parisiens.

En 1700, il obtint le statut de libraire, puis celui d'imprimeur l’année suivante. Son association avec Prosper Marchand, un ami proche et collaborateur depuis 1698, lui permit de perfectionner les techniques de catalogage, en particulier pour les ventes de collections privées. Le premier catalogue produit par leur association, en 1703, marqua un tournant dans la manière de classer et de présenter les ouvrages à vendre.

Les innovations dans le domaine des catalogues

Jusqu’au début du XVIIIe siècle, les catalogues de livres étaient souvent organisés par formats, rendant leur consultation fastidieuse pour ceux qui recherchaient un ouvrage particulier. Gabriel Martin s’inspira du travail de Marchand pour innover dans ce domaine. À partir de 1708, il adopta une méthode de classification en cinq grandes catégories : théologie, jurisprudence, sciences et arts, belles-lettres et histoire. Cette approche facilitait grandement la recherche des livres et laissait entrevoir la richesse et la diversité des collections présentées.

Cependant, Marchand évolua rapidement vers un autre système plus simplifié, comme le montre son catalogue Faultrier de 1709. Martin, lui, resta fidèle à la méthode de classification en plusieurs classes qu’il avait contribué à mettre en place, tout en apportant des améliorations au fil des années. Il ne se résolut à intégrer un mélange des formats et une table alphabétique des auteurs qu’en 1711, dans son catalogue Bulteau.

Le catalogue Bulteau, fruit de la vente de la bibliothèque de Charles Bulteau, marqua un jalon important. Rédigé avec soin, il comportait près de 9 000 lots et fut salué pour son organisation rigoureuse. Cette méthode se perfectionna avec le temps, et certains catalogues publiés par Gabriel Martin, comme celui de la vente Barré, furent considérés comme des exemples remarquables de l’art du catalogage.

Un maître du catalogue

Entre 1705 et 1761, Gabriel Martin publia pas moins de 148 catalogues, un nombre impressionnant pour l'époque. Parmi les plus célèbres, on peut citer le Bibliotheca Baluziana (1719), issu de la bibliothèque d’Étienne Baluze, un érudit et bibliothécaire de Colbert. Ce catalogue, qui compte plus de 10 000 lots, demeure un exemple de l’attention minutieuse que Martin portait à la classification des ouvrages et à leur présentation.

Une autre vente notable fut celle de la Bibliotheca Fayana (1725), issue de la collection de Charles-Jérôme de Cisternay du Fay. Ce capitaine, ayant dû renoncer à sa carrière militaire après une blessure, se consacra avec passion à la bibliophilie. La richesse de sa collection témoigne du goût de l’époque pour les ouvrages rares et précieux, que Gabriel Martin s’efforça de mettre en valeur dans son catalogue.

Le Catalogus librorum bibliothecæ illustrissimi viri Caroli Henrici comitis de Hoym (1738) est également un exemple frappant de l'excellence de Gabriel Martin dans l'art du catalogage. Le comte de Hoym, célèbre bibliophile et diplomate, possédait une bibliothèque prestigieuse dont le catalogue, signé Martin, est resté une référence incontournable pour les amateurs de livres anciens.

Un héritage durable

Le rôle de Gabriel Martin dans l’histoire de la bibliophilie et de la librairie dépasse largement sa simple activité de libraire. Grâce à son travail méticuleux et à son engagement pour la perfection du catalogue de vente, il a contribué à faire du catalogue un outil essentiel pour la valorisation des collections de livres. Ces catalogues, bien que conçus pour des ventes publiques ou privées, sont devenus des documents historiques précieux pour les chercheurs et les collectionneurs, témoignant de l’évolution du goût et des pratiques bibliophiliques au cours du XVIIIe siècle.

À travers les catalogues qu’il a produits, Gabriel Martin a non seulement permis la diffusion des connaissances et la circulation des œuvres parmi les collectionneurs, mais il a également contribué à préserver l’histoire de ces collections pour les générations futures. Les catalogues de Martin, en mettant en lumière des bibliothèques remarquables et en révélant des trésors souvent méconnus, continuent d'influencer le monde de la bibliophilie et de nourrir la fascination pour les livres anciens.