Henri de La Bédoyère : le destin d’un bibliophile et homme de lettres au cœur des grandes collections littéraires.

Noël-François-Henri Huchet, comte de La Bédoyère, est issu d'une ancienne famille bretonne dont les origines remontent au XVᵉ siècle. Né à Paris le 21 novembre 1782, il est le fils de Charles-Marie-Philippe Huchet de La Bédoyère et de Judith-Félicité des Barres, fille du marquis des Barres, propriétaire du château de Raray dans l'Oise. En 1809, il épouse Ambroisine-Louise d’Estampes, avec qui il aura cinq enfants. Profondément attaché à la monarchie, il rejoint les Gardes du corps du Roi en 1814. Durant les Cent-Jours, il voit son frère cadet, le général Charles de La Bédoyère, rallier Napoléon contre la mission qu’il lui avait confiée, avant d'être fusillé au retour de Louis XVIII.

En 1823, La Bédoyère participe à l’expédition française en Espagne. Il se lance ensuite en politique et échoue de peu aux élections législatives de 1827. La Révolution de 1830 met fin à sa carrière militaire, mais sa fidélité au roi Charles X est récompensée par la croix de Saint-Louis. Rayé des contrôles de l’armée pour refus de serment, il se consacre dès lors à ses activités littéraires et bibliophiliques.

Ce colonel de cavalerie est un homme de lettres accompli. Il traduit en français des œuvres anglaises et allemandes, notamment Voyage dans les Hébrides de Samuel Johnson, Tom Jones de Henry Fielding et Les Souffrances du jeune Werther de Goethe. Il publie aussi son Journal d’un voyage en Savoie et dans le midi de la France en 1807. Son amour de la littérature se double d’une passion pour les livres, et il constitue une des bibliothèques les plus remarquables de Paris, participant activement aux grandes ventes bibliophiliques tant en France qu'en Angleterre.

Dès 1804, lors de la vente des livres de Jules-François de Cotte, ancien directeur de la Monnaie des médailles, La Bédoyère acquiert pour 112 francs une édition originale de l’Histoire du vieux et du nouveau Testament (1670), connue sous le nom de « Bible de Royaumont ». Ce livre prestigieux passera ensuite par plusieurs célèbres collections avant d’être adjugé 23.009 euros en 2005. Parmi ses acquisitions notables, on trouve aussi des exemplaires précieux de Les Aventures de Télémaque et Les Héros de la Ligue, tous deux reliés en maroquin.

En 1811, il participe à la vente de la bibliothèque de Firmin Didot, où il acquiert des œuvres de Rabelais, Molière et Boileau, toutes magnifiquement reliées. Son exemplaire des Contes et Nouvelles en vers de La Fontaine, édition « des fermiers généraux », est un des joyaux de sa collection. Toujours en quête de pièces rares, il enrichit sa bibliothèque avec des reliures exceptionnelles de Derome et Padeloup, les meilleurs relieurs de l’époque.

La collection de La Bédoyère ne se limite pas aux livres français. Lors de la vente des livres du comte Justin de Mac-Carthy Reagh en 1815, il se procure un exemplaire magnifique des Œuvres de Boileau et des Anecdotes of painting in England de Horace Walpole, exemplaire rare dans une reliure en maroquin rouge. La passion de La Bédoyère pour les manuscrits se manifeste également avec des achats exceptionnels, comme le Preces piae du XVᵉ siècle, un manuscrit orné de 183 miniatures, acquis en 1823.

En 1837, cependant, pour une raison mystérieuse, La Bédoyère décide de vendre une grande partie de sa collection lors d'une vente qui attire l'attention des plus grands bibliophiles. Le catalogue de cette vente, contenant 1.750 lots, est publié par Silvestre. Pourtant, la séparation d’avec ses livres est si douloureuse qu'il consacre le reste de sa vie à tenter de les racheter. Il parvient à récupérer plusieurs ouvrages, dont le précieux manuscrit Adonis écrit par Nicolas Jarry en 1658.

En plus de ses activités de collectionneur, La Bédoyère entretient une correspondance assidue avec des libraires et arpente les quais de Paris à la recherche de nouvelles acquisitions. Il reconstitue ainsi une seconde bibliothèque, où se mêlent des reliures somptueuses de Purgold, Thouvenin, et Bauzonnet, des manuscrits précieux, ainsi que des ouvrages modernes dans des reliures de Bozerian ou Simier. Il devient membre de la Société des Bibliophiles françois en 1829, consolidant sa place parmi les grands collectionneurs de son époque.

En 1862, après son décès, la bibliothèque de La Bédoyère est à nouveau dispersée lors d'une vente aux enchères. Le catalogue, composé de deux parties, répertorie les 2.846 lots de cette vaste collection. Parmi les ouvrages vendus figurent de nouveau la « Bible de Mortier », le manuscrit Preces piae et de nombreux autres trésors bibliographiques. La vente est un événement majeur pour le monde des bibliophiles et rapporte plus de 155.000 francs.

La collection révolutionnaire de La Bédoyère, qui inclut des pamphlets, affiches, gravures et journaux politiques, témoigne de sa passion pour l’histoire. Cette collection est finalement acquise en totalité par la Bibliothèque impériale en 1864, grâce aux efforts de Jules-Antoine Taschereau, directeur de l'institution.

Ainsi, Henri de La Bédoyère incarne la figure du bibliophile par excellence, attaché à la conservation et à l’embellissement des livres. Son influence sur le monde des collections et son dévouement à l'art du livre lui valent une place parmi les plus grands collectionneurs de son temps.