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Henri-François d’Aguesseau : parcours d’un chancelier érudit et bibliophile du XVIIIᵉ siècle.
Henri-François d’Aguesseau, figure éminente du XVIIIᵉ siècle, incarne à lui seul un parcours unique entre droit, érudition et bibliophilie. Fils d’Henri d’Aguesseau, intendant de Limoges, il naît dans cette ville le 27 novembre 1668. Cette maison familiale, aujourd’hui située au n° 15 de la rue du Consulat, témoigne de ses racines provinciales, bien qu’il s’illustrera plus tard au cœur des institutions parisiennes. Sa carrière, marquée par un passage au Parlement en tant qu’avocat du Roi, avocat-général et enfin procureur-général, culmine en 1717 lorsqu'il est nommé chancelier de France. Son opposition au système de Law lui vaut disgrâce et exil en 1718 et, à nouveau, en 1722.
Henri-François se distingue par sa rigueur intellectuelle et sa fidélité à la doctrine gallicane, influencée par le jansénisme, qui le pousse à défendre le Parlement face aux ingérences du Saint-Siège, notamment lors de l’affaire de la bulle Unigenitus. Par ailleurs, il rédige des ordonnances fondamentales pour le droit français, notamment sur les donations (1731), les testaments (1735) et les substitutions (1747), travaux qui influencent profondément la rédaction ultérieure du Code civil.
Marié en 1694 à Anne-Françoise Le Fèvre d’Ormesson, fille d’André Le Fèvre d’Ormesson, maître des requêtes et intendant de Lyon, Henri-François d’Aguesseau élève avec elle une famille nombreuse : parmi ses enfants, Henri-François-de-Paule, né en 1698, Jean-Baptiste-Paulin en 1701 et Henri-Charles en 1713. Dans l’ombre de ses fonctions officielles, il cultive également une passion pour l'érudition, constituant une bibliothèque qui reste parmi les plus remarquables de l’époque. Cette collection, riche de plus de 20 000 volumes, était ornée de ses armes : d’azur, à deux fasces d’or, accompagnées de six coquilles d’argent, qui, avec les masses symboliques de sa charge, rehaussaient chaque ouvrage.
Au décès de d’Aguesseau en 1751, la bibliothèque familiale revient à son fils aîné, Henri-François-de-Paule, qui en hérite selon une clause de substitution masculine, avant d’être transmise à Jean-Baptiste-Paulin. La préservation de cette collection, malgré les modestes enrichissements de ses descendants, reflète leur respect pour le patrimoine légué par leur père.
La vente de la bibliothèque d’Aguesseau en 1785 suscite un vif intérêt auprès des bibliophiles et érudits de l’époque. Le Catalogue des livres imprimés et manuscrits de feu Monsieur d’Aguesseau, élaboré à cette occasion, dresse un inventaire précieux des œuvres qu’il avait soigneusement rassemblées. Ce document témoigne de son goût pour les auteurs grecs et latins, et de son engouement pour les études de jurisprudence. Parmi les ouvrages remarquables figurent une édition de la Bible Polyglotte de Walton, un Pseautier latin manuscrit d'une grande antiquité et des volumes reliés aux armes de d’Aguesseau, souvent agrémentés de ses emblèmes personnels.
Le catalogue révèle également sa collection d’éditions rares des Pères de l’Église et de divers manuscrits originaux, parmi lesquels on trouve des documents sur la coutume de Paris, légués par des avocats renommés. D’Aguesseau, en rassemblant les œuvres de juristes influents comme Denis Talon, fait de sa bibliothèque un centre de savoir juridique qui atteste de sa quête constante de perfection intellectuelle.
Dans les domaines de la littérature et de l’histoire, sa bibliothèque comportait des manuscrits poétiques et des œuvres inédites, offrant un aperçu des courants littéraires de son temps. Outre des éditions rares d’auteurs classiques, il possédait une collection unique d’estampes du Cabinet du Roi et des éditions sur vélin d’ouvrages précieux, dont l'Anthologie grecque de Planude, autrefois propriété du pape Léon X. Cette acquisition de manuscrits variés et d’éditions savantes, souvent enrichies de commentaires érudits, démontre l’éclectisme de ses intérêts et son ouverture à tous les domaines du savoir.
La dispersion de cette collection marque la fin d’une ère pour la famille d’Aguesseau, mais témoigne de l’ambition et de la culture de ce chancelier érudit. La figure d’Henri-François d’Aguesseau reste indissociable de l’histoire des bibliothèques savantes de son temps, son patrimoine légué aux générations ultérieures continuant de témoigner de son insatiable curiosité intellectuelle et de son respect pour les grandes œuvres littéraires et juridiques.
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