Hilaire-Bernard de Requeleyne, baron de Longepierre : vie et héritage littéraire d’un bibliophile du XVIIe siècle.

Hilaire-Bernard de Requeleyne, baron de Longepierre et seigneur de La Villeneuve, naquit à Dijon le 18 octobre 1659, dans l’hôtel familial situé place Saint-Michel. Issu d’une ancienne famille bourguignonne, dont les terres seigneuriales s’étendaient à Longepierre et à La Villeneuve, ce personnage singulier a marqué son époque, non seulement par ses travaux littéraires mais aussi par sa passion pour les livres, qui lui a valu une place parmi les bibliophiles les plus remarqués de son siècle.

Une jeunesse prometteuse : des racines nobles et une éducation classique

Longepierre, fils de Michel de Requeleyne, conseiller du roi et maître ordinaire en la chambre des comptes à Dijon, et d’Oudette de Mouhy, grandit au sein d’une famille noble, aux racines profondément ancrées en Bourgogne. Baptisé le 19 octobre 1659, il fit ses premières armes académiques au collège des jésuites de Dijon, connu sous le nom de collège des Godrans, et qui abrite aujourd’hui la bibliothèque municipale de la ville. Sous l’influence de son père, il se tourna très tôt vers les études classiques, développant une passion pour les auteurs grecs et latins, tout en cultivant la poésie française.

Les premiers pas littéraires : traductions et tragédies

À 25 ans, Longepierre fit son entrée dans le monde littéraire en publiant anonymement Les poésies d’Anacréon et de Sapho traduites de grec en vers françois (1684), un ouvrage témoignant de son amour pour la poésie antique et des prémices de son talent de traducteur. Ce recueil marque le début d’une série de traductions de poètes grecs, qui, bien que critiquées pour leur style souvent verbeux, ont su trouver leur public. Longepierre signa également quelques ouvrages originaux, notamment trois tragédies, parmi lesquelles Médée (1694) reste la plus notoire. Inspirée de la mythologie grecque, cette pièce fut publiée l’année même de sa représentation et saluée par Voltaire. Toutefois, les critiques contemporaines soulignent un style quelque peu ampoulé, et le cardinal Dubois n’hésite pas à le dépeindre comme un homme « fort vain, fort sot et fort ennuyeux ».

Un homme de lettres à la cour : précepteur et intrigant

Les talents de Longepierre lui permirent d’obtenir des postes prestigieux à la cour. Il devint ainsi le précepteur de Louis-Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse, puis de Louis d’Orléans, duc de Chartres, fils du futur Régent. Néanmoins, sa position auprès du comte de Toulouse fut écourtée après qu’il eut encouragé ce dernier à envisager un mariage avec mademoiselle d’Armagnac, ce qui déplut fortement à la cour. En dépit de ses relations tendues avec certains courtisans, il continua de fréquenter les cercles de pouvoir, notamment en devenant proche du duc de Noailles, au grand dam de son rival, le duc de Saint-Simon. Ce dernier le dépeint dans ses Mémoires comme un « rat de cour, pédant », attaché au duc de Noailles plus par intérêt que par loyauté, et dont les ambitions furent entretenues par l’abbé Dubois.

La passion des livres : une collection de prestige

Loin des intrigues de cour, la vraie passion de Longepierre résidait dans sa bibliothèque, constituée de près de 1 200 volumes, soigneusement disposés dans son cabinet faubourg Saint-Honoré. Estimée à une valeur de sept à huit mille livres, cette collection remarquable rassemblait des ouvrages reliés en maroquin rouge ou bleu, souvent doublés de maroquin vert ou de la même couleur que l’extérieur, et ornés de l’emblème de la toison d’or, symbole familial. Les reliures, œuvres des maîtres Luc-Antoine Boyet, Antoine-Michel Padeloup « le jeune » et Augustin Duseuil, comptaient parmi les plus belles de l’époque.

Parmi les ouvrages notables de sa bibliothèque, on retrouve l’édition des Opera d’Horace (Leyde, ex officina Elzeviriana, 1628), vendue à prix élevé en 2004, ainsi qu’une édition de Relation d'un voyage du Levant de Tournefort (Paris, Impr. royale, 1717), et l’incontournable Aeschyli Tragoediae VII (Genève, Henri Estienne, 1557). Ces trésors furent recherchés bien après la mort de Longepierre, les reliures estampillées de la toison d’or devenant synonymes de goût et de raffinement auprès des bibliophiles.

L’héritage de la bibliothèque de Longepierre

Longepierre mourut à Paris le 30 mars 1721, léguant sa bibliothèque à son ami Louis-Antoine de Noailles, cardinal et archevêque de Paris. À la mort du cardinal en 1729, les ouvrages passèrent à son neveu, Adrien-Maurice de Noailles, duc de Noailles, qui en devint l’héritier. La bibliothèque de Longepierre traversa ainsi plusieurs générations et attira l’intérêt des plus grands collectionneurs. Certains de ses ouvrages échappèrent à la dispersion révolutionnaire qui frappa l’hôtel de Noailles en 1795. Quelques volumes furent même acquis par le révérend Clayton-Mordaunt Cracherode pour enrichir sa collection, aujourd’hui au British Museum.

Les livres de Longepierre, avec leur emblème de la toison d’or, ont conquis les bibliophiles les plus exigeants : baron Jérôme Pichon, baronne James de Rothschild, vicomte de Savigny, marquis de l’Aigle et bien d’autres. Charles Nodier, dans la Bibliothèque de M. G. de Pixerécourt (1839), reconnaît la qualité exceptionnelle de cette collection, soulignant que les ouvrages de Longepierre se présentent rarement dans les ventes, leur présence étant un gage de rareté et de prestige.

Le legs d’un bibliophile : une collection immortalisée

En 1856, un exemplaire du Télémaque de Longepierre suscita une bataille féroce entre un riche financier et Jacques-Charles Brunet, qui l’emporta pour la somme alors extravagante de 1 785 francs. Ce prix témoigne de l’aura attachée à la bibliothèque de Longepierre, dont les ouvrages incarnent un modèle de finesse et de beauté. La collection de Longepierre, bien que dispersée, demeure une référence dans le monde des livres anciens, conservant une place privilégiée parmi les reliures les plus prisées.

En somme, Hilaire-Bernard de Requeleyne, baron de Longepierre, laisse derrière lui un héritage complexe. Ses traductions et pièces de théâtre, bien que médiocres pour certains, marquèrent néanmoins son époque, tandis que sa passion pour les livres lui permit de constituer une bibliothèque dont la renommée perdure. Plus qu’un simple homme de lettres, il fut un véritable artisan de la culture classique et un témoin des goûts littéraires de la noblesse française du XVIIe siècle. Ses reliures, ornées de la toison d’or, continuent de symboliser l’alliance de l’érudition et de l’élégance, deux qualités qui font de Longepierre une figure unique de l’histoire littéraire et bibliophilique.