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Jean-Jacques Charron, un destin lié à Menars et aux livres anciens.
Né à Blois le 13 novembre 1643, Jean-Jacques Charron est une figure marquante du XVIIe siècle français. Héritier de la fortune familiale en 1669, à la mort de son père Jacques Charron, bailli d’épée et gouverneur de Blois, et de son oncle Guillaume Charron, trésorier général de l’extraordinaire des guerres, Jean-Jacques se trouva propulsé à la tête d’un patrimoine considérable. Son ascension ne fut pas seulement due à la richesse familiale, mais également à son mariage avec Marie-Thérèse Colbert, sœur du célèbre ministre de Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert. Cette alliance l’introduisit dans les plus hautes sphères du pouvoir, facilitant l’obtention de diverses charges importantes.
L'extension de Menars, un marquisat en devenir
Si le nom de Charron est indissociable de celui de Menars, c’est bien parce qu’il consacra une grande partie de sa fortune et de son énergie à transformer ce domaine, situé à six kilomètres au nord-est de Blois, en un marquisat digne de ce nom. En 1676, des lettres patentes de Louis XIV élevèrent officiellement Menars au rang de marquisat, rattaché directement à la couronne. Charron entreprit alors d’agrandir la modeste demeure en y ajoutant deux pavillons et en faisant construire une grande terrasse qui, encore aujourd'hui, témoigne de sa vision architecturale.
Cependant, si Menars reste célèbre aujourd'hui, ce n’est pas uniquement grâce à ses transformations physiques, mais surtout grâce à la collection exceptionnelle de livres qu'il abrita. En effet, Jean-Jacques Charron n'était pas qu'un homme de pouvoir ; il était également un érudit et un passionné de livres rares.
La bibliothèque Thuanienne, un trésor sauvé du morcellement
L’un des événements les plus significatifs de la vie de Charron fut l’acquisition, en 1680, de la célèbre bibliothèque de Jacques-Auguste de Thou, une collection considérée comme l'une des plus importantes de l’époque. Jacques-Auguste de Thou, grand humaniste du XVIe siècle, avait rassemblé une impressionnante bibliothèque, composée d’ouvrages rares et de manuscrits inestimables, notamment les écrits des frères Dupuy. Après la mort du fils de Jacques-Auguste de Thou en 1677, la bibliothèque devait être dispersée. Elle fut d’abord morcelée lors de ventes aux enchères, mais Charron, désireux de préserver ce patrimoine unique, intervint pour acheter la majeure partie des ouvrages, mettant ainsi fin à la fragmentation de ce trésor littéraire.
Cette acquisition contribua à asseoir la réputation de Charron comme grand bibliophile. Il fit alors transférer la collection dans son hôtel de Menars, situé à Paris, à l’angle de la rue de Richelieu et de la rue Neuve Saint-Augustin. La rue de Menars d’aujourd’hui, bien qu’elle ne traverse plus cet ancien hôtel, en garde néanmoins la mémoire.
Un bibliophile loué par les savants de son temps
L'achat de la bibliothèque Thuanienne fut salué par de nombreux intellectuels et écrivains de l'époque. Jean de Santeul, dans son poème Bibliotheca Thuana, nunc Menarsiana, célèbre cet acte comme celui d’un homme désireux de protéger et d’enrichir le savoir. Germain Brice, auteur de Description nouvelle de la ville de Paris, évoque également le goût prononcé de Charron pour les livres, soulignant qu'il ne cessait d’ajouter des volumes rares à cette collection, qu'il espérait rendre encore plus prestigieuse avec le temps.
La bibliothèque Thuanienne, désormais appelée Menarsiana, devint rapidement un lieu de référence pour les érudits et les chercheurs. Toutefois, malgré l’admiration que suscita son acquisition, quelques contemporains, tels que le duc de Saint-Simon, nuancèrent cette image en affirmant que la bibliothèque, bien que superbe, était davantage un objet de prestige pour Charron qu’un véritable outil de travail. Cette critique, bien que sévère, n’enlève rien à la contribution de Charron à la préservation du patrimoine littéraire français.
La vente de la bibliothèque, un passage de témoin
Paradoxalement, dès 1701, Charron chercha à se défaire de sa précieuse bibliothèque. Finalement, ce fut le cardinal de Rohan qui s’en porta acquéreur en 1706, pour la somme de 36 300 livres. Cette transaction permit une nouvelle fois de sauver la collection de l’éparpillement, alors que la France traversait une période difficile marquée par des guerres coûteuses.
L'évêque de Strasbourg, passionné de lettres et soucieux de préserver cet héritage, intégrera la bibliothèque dans sa propre collection. Cette vente fut facilitée par l’abbé de Boissy, ami proche du cardinal, qui encouragea ce dernier à saisir l’opportunité. Ainsi, grâce à cette nouvelle acquisition, la France évita de voir une partie de ce trésor littéraire partir à l'étranger.
Cependant, Charron ne renonça pas à son amour pour les livres. Peu de temps après la vente de la bibliothèque Thuanienne, il entreprit de former une nouvelle collection, rassemblant notamment plusieurs manuscrits précieux des frères Dupuy, qu'il avait réservés lors de la vente de 1706.
La fin d’une ère, le début d’une autre
Jean-Jacques Charron mourut subitement à Menars le 16 mars 1718. Il fut inhumé dans la chapelle seigneuriale de l’église Saint-Jean-Baptiste de Menars, où son tombeau est encore visible aujourd'hui. Après sa mort, sa seconde bibliothèque fut rapidement vendue par ses héritiers à Abraham de Hondt, un libraire de La Haye, qui en dispersa le contenu lors d'une vente publique en 1720. Cette vente se déroula en 17 sessions dans la Grande Salle de la Cour, marquant ainsi la fin définitive de l’aventure bibliophile de Charron.
Le catalogue de la Bibliotheca Menarsiana, publié à cette occasion, recense un total de 7 730 lots, témoignant de la diversité et de la richesse de cette collection. Parmi les pièces les plus précieuses figurait une Biblia latina, imprimée à Mayence en 1462, et adjugée pour 1 200 livres. Certains des ouvrages de la bibliothèque Thuanienne firent alors leur entrée dans le commerce de la librairie pour la première fois.
Jean-Jacques Charron, marquis de Menars, fut à la fois un homme de pouvoir et un passionné de livres. Son acquisition de la bibliothèque de Jacques-Auguste de Thou permit de préserver un ensemble exceptionnel d'ouvrages et de manuscrits, contribuant ainsi à la sauvegarde du patrimoine littéraire français. Bien qu'il ne fut pas toujours considéré comme un érudit par ses contemporains, son amour des livres et sa volonté de les conserver pour les générations futures en font un personnage incontournable de l’histoire du livre en France.
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