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Joaquin Gomez de la Cortina, marquis de Morante, un bibliophile d'exception du XIXe siècle.
Joaquin Gomez de la Cortina, né au Mexique en 1808, est une figure emblématique du monde des bibliophiles du XIXe siècle. Son parcours est marqué par une passion inextinguible pour les livres, qu'il cultive depuis son plus jeune âge jusqu'à sa mort tragique en 1868, survenue alors qu'il chutait de l'échelle de sa propre bibliothèque. Ce collectionneur infatigable, également homme de lettres, a laissé derrière lui un héritage littéraire d'une richesse inouïe, symbolisé par une bibliothèque qui comptait plus de 120 000 volumes, tous méticuleusement choisis, catalogués et souvent somptueusement reliés.
Un parcours académique brillant
Envoyé en Espagne par son père alors que les troubles pour l’indépendance du Mexique éclataient, le jeune Joaquin s’illustre par une carrière académique remarquable. Il obtient successivement deux doctorats, l'un en droit canon, l'autre en droit civil, ce qui le mène à devenir recteur de l'Université Complutense de Madrid. Cette position prestigieuse lui ouvre les portes d'une carrière dans les hautes sphères politiques et juridiques du royaume d'Espagne. Mais, malgré ces responsabilités, Gomez de la Cortina décide de se retirer de la vie publique pour se consacrer entièrement à sa véritable passion : les livres.
La bibliothèque du marquis de Morante : une collection unique
Le marquis de Morante investit une grande partie de sa fortune dans l’acquisition, la reliure et la restauration de livres rares et précieux. Selon ses registres, certaines années, jusqu'à deux tiers de ses revenus étaient destinés à l'achat de nouveaux ouvrages. Il est important de souligner l'ampleur et la qualité de sa collection, qui se distingue par plusieurs aspects.
Le nombre et la diversité des ouvrages
Avec près de 120 000 volumes, la bibliothèque de Gomez de la Cortina était l'une des plus grandes collections privées de l'époque. Elle regroupait des classiques latins tels que Virgile, Horace et Cicéron, souvent en plusieurs exemplaires de la même édition, ainsi que des manuscrits anciens. Son intérêt ne se limitait pas aux auteurs antiques, puisqu'il possédait également des ouvrages de poètes latins modernes et une vaste collection d'ouvrages hétérodoxes, traitant notamment de la Réforme ou d’hérésies plus confidentielles et exotiques.
La qualité et l'état des ouvrages
La bibliothèque du marquis était non seulement vaste, mais aussi d'une qualité exceptionnelle. Les livres étaient en excellent état, souvent dotés de reliures luxueuses réalisées par les meilleurs artisans de l'époque, principalement parisiens. Les reliures en plein maroquin ou en veau fauve étaient courantes, même si certaines œuvres de consultation étaient simplement reliées en demi-chagrin ou demi-basane. Parmi ses artisans préférés figurait Duru, dont la réputation de relieur d’exception était bien établie à Paris.
L'élégance et la sophistication des reliures
L'esthétisme des reliures occupait une place centrale dans la collection du marquis. En plus de posséder des ouvrages anciens magnifiquement reliés provenant des bibliothèques de personnalités comme Jean Grolier ou Jacques-Auguste de Thou, il commandait fréquemment des reliures sur mesure pour ses nouvelles acquisitions. Ces reliures étaient souvent ornées de ses armes et portaient la devise « Hora fallitur legendo » (L'heure passe en lisant), ainsi que l’inscription « J. Gomez de la Cortina et amicorum », inspirée de celle de Grolier.
Un passionné exigeant et un érudit reconnu
Bien que sa bibliothèque soit accessible uniquement à lui-même, Gomez de la Cortina ne prêtait jamais ses livres, une habitude qui peut surprendre, mais qui, dans le monde des bibliophiles, est souvent perçue comme un signe d'attachement profond et de respect pour les ouvrages. Il préférait acquérir un exemplaire supplémentaire à prêter plutôt que de voir ses propres livres quitter sa bibliothèque.
Au-delà de la collection, Gomez de la Cortina était un érudit reconnu. Il publia un catalogue en huit volumes, intitulé Catalogus librorum doctoris D. Joachim Gomez de la Cortina, march. de Morante, où il répertorie et commente chacun de ses ouvrages. Ce catalogue, limité à 500 exemplaires, est un témoignage précieux de la richesse de sa bibliothèque. En 1867, il publie également un dictionnaire étymologique latin-espagnol, démontrant ainsi sa profonde maîtrise de la langue latine.
Une fin tragique pour un bibliophile passionné
La mort de Gomez de la Cortina, en 1868, survient de manière tragique alors qu'il tombe du haut de l'échelle de sa bibliothèque. Ce décès rappelle celui d'autres bibliophiles, et il contribue à renforcer la légende qui entoure sa vie. Après sa mort, sa bibliothèque, en grande partie acquise et reliée en France, est dispersée lors de plusieurs ventes aux enchères à Paris entre 1872 et 1873. Ces ventes, malgré l'importance de la collection, ne rencontrent pas le succès escompté, et de nombreux ouvrages sont rachetés par le libraire parisien Jean-Antoine Bachelin et le libraire londonien Frederick-Startridge Ellis.
L'héritage de la bibliothèque du marquis de Morante
Bien que sa bibliothèque ait été dispersée, l'héritage de Gomez de la Cortina demeure. Plusieurs de ses ouvrages ont rejoint des collections publiques, notamment à l'École Normale Supérieure de la rue d'Ulm à Paris. Les livres de sa collection sont encore aujourd'hui recherchés par les bibliophiles du monde entier, même si certains exemplaires, particulièrement rares, sont difficilement accessibles.
Parmi les ouvrages les plus emblématiques de sa collection, on peut citer :
- Horace, Poemata (Paris, ex. off. Rob. Stephani, 1544) : un in-octavo relié en maroquin rouge avec des dentelles intérieures et des tranches dorées, contenant des notes manuscrites originales de Robert Estienne.
- Joseph Scaliger, Opus de emendatione temporum (Leyde, Plantin, 1598) : un in-folio relié en maroquin rouge, aux armes de Jean-Auguste de Thou, avec deux lignes autographes de Scaliger lui-même.
- Tacite, Opera omnia (Lyon, Ant. Gryphe, 1584) : un in-douze relié en maroquin rouge, avec des motifs dorés en forme de lys, provenant de la bibliothèque de Marguerite de Valois, dite la Reine Margot.
Ces ouvrages, témoins de l'amour du marquis pour les belles lettres et les reliures d'exception, incarnent parfaitement l'esprit de sa collection : une recherche incessante de la perfection et une passion dévorante pour les livres.
Joaquin Gomez de la Cortina, marquis de Morante, reste une figure incontournable du monde de la bibliophilie. Sa collection, l'une des plus vastes et des plus prestigieuses du XIXe siècle, reflète non seulement une passion personnelle, mais aussi un engagement envers la préservation du patrimoine littéraire. Bien que dispersée, cette bibliothèque continue de faire rêver les amateurs de livres rares et précieux, symbolisant à jamais l'amour inconditionnel que le marquis portait aux ouvrages qu'il a si jalousement conservés toute sa vie.
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