Joseph Bonnier de La Mosson : splendeur et déclin d'un collectionneur du XVIIIe siècle.

Joseph Bonnier de La Mosson, un personnage emblématique du XVIIIe siècle, a laissé une empreinte indélébile dans le domaine des cabinets de curiosités, reflet d'une époque où la passion pour la collection d'objets rares et étonnants fascinait l'élite intellectuelle et aristocratique. Né à Montpellier le 6 septembre 1702, il hérita à l'âge de 24 ans d'une immense fortune ainsi que de la charge de son père, trésorier général des États de la province du Languedoc. Il s'installa rapidement à Paris, où il mit sur pied un cabinet de curiosités qui devint l'un des plus célèbres de son temps.

L'installation d'un cabinet exceptionnel

Dans son hôtel du Lude, situé rue Saint-Dominique à Paris et conçu par l'architecte Robert de Cotte, Joseph Bonnier de La Mosson fit aménager neuf salles pour accueillir sa collection, témoignant ainsi d'une organisation savante et minutieuse. Chaque salle avait une fonction spécifique, regroupant différents domaines de connaissance. Parmi ces pièces, on retrouvait :

• Le cabinet d'anatomie, où des pièces fascinantes illustrant l'anatomie humaine et animale étaient exposées.
• Le cabinet de chimie, également appelé laboratoire, ainsi que le cabinet de pharmacie, ou apothicairerie, qui renfermait des remèdes et des substances médicales.
• Le cabinet des drogues, véritable inventaire de matières rares et précieuses venues du monde entier.
• Le cabinet du tour, consacré aux outils utilisés dans diverses disciplines techniques et artisanales.
• Trois cabinets d'histoire naturelle répartissaient la collection selon des critères précis : animaux en conserve, animaux desséchés, plantes, minéraux, coquilles et autres objets relatifs aux sciences naturelles.
• Enfin, le cabinet de physique regroupait des machines et instruments scientifiques, ainsi que des pièces d'artillerie, traduisant l'intérêt de Bonnier pour les mathématiques et les sciences expérimentales.

Cet ensemble monumental fut un chef-d'œuvre d'organisation, dont les décors intérieurs furent réalisés par Jacques de Lajoue, un peintre et décorateur de renom. En 1739-1740, l'architecte Jean-Baptiste Courtonne dessina des planches détaillant ces décors, donnant ainsi un aperçu précieux de cette curiosité architecturale. Ce cabinet se voulait un lieu de savoirs encyclopédiques, où se mêlaient les sciences naturelles, les arts mécaniques et les collections exotiques. Bonnier, passionné et érudit, voulait offrir une vitrine de l'exploration scientifique et de la connaissance du monde à son époque.

Un destin tragique

Si Bonnier de La Mosson brilla par ses collections, sa vie personnelle fut marquée par de nombreux excès. Bien que sa fortune fût considérable, il la dilapida en grande partie au cours de sa courte existence. Il mourut à Paris le 26 juillet 1744, à l'âge de 42 ans. Sa mort laissa sa veuve dans une situation financière délicate, la forçant à vendre l'intégralité de la collection du cabinet de curiosités. Le célèbre marchand d'art Edme-François Gersaint rédigea alors un catalogue raisonné de la vente, un ouvrage qui reste un document essentiel pour comprendre l'ampleur de la collection de Bonnier. Le catalogue, publié sous le titre Catalogue raisonné d’une collection considérable de diverses curiosités en tous genres, comportait pas moins de 966 lots, vendus au plus offrant.

Parmi les acquéreurs figurait le célèbre naturaliste Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, qui se procura cinq armoires d'histoire naturelle pour la somme de 3.000 livres, une somme considérable pour l'époque, rappelant que le salaire annuel d'un simple garçon de laboratoire du Jardin des plantes était alors de 200 livres. Ces acquisitions permirent à Buffon de compléter ses propres collections et d'enrichir les galeries du Jardin des plantes à Paris.

Une bibliothèque dispersée

La vente du cabinet de curiosités fut suivie de celle de la bibliothèque de Bonnier de La Mosson. Le Catalogue des livres de M. Bonnier de La Mosson parut en 1745 et recensait 1.624 lots. Contrairement aux catalogues modernes qui fournissent souvent des descriptions détaillées, ce catalogue était relativement succinct, mentionnant principalement les titres, auteurs, lieux d'édition, dates et formats, sans offrir de détails complémentaires tels que l'état de conservation ou la provenance des ouvrages.

Cette bibliothèque comprenait une grande variété d'ouvrages, mais peu de manuscrits ou d'indications spécifiques sur les reliures, si ce n'est quelques mentions comme « mar. r. » (maroquin rouge) ou « mar. vert. » (maroquin vert), des reliures luxueuses typiques des bibliothèques aristocratiques de l'époque. Aucune mention n'était faite des exemplaires dotés du super ex-libris armorié de la famille Bonnier, marqué par des armoiries d'azur avec sept burelles d'or et trois gerbes en chef.

L'héritage de la famille Bonnier

Si Joseph Bonnier de La Mosson connut une fin précoce et tragique, son cousin, Antoine-Samuel Bonnier, seigneur d’Alco, poursuivit une carrière plus stable. Il fut président de la Cour des comptes, aides et finances de Montpellier. Son fils, Ange-Élizabeth-Louis-Antoine Bonnier, joua un rôle clé pendant la Révolution française. Devenu député de l’Hérault et membre de la Convention nationale, il se fit connaître pour son vote en faveur de l'exécution de Louis XVI.

En tant que diplomate sous le Directoire, Ange Bonnier fut envoyé à Rastadt pour négocier la paix entre la France et ses ennemis. Cependant, ces négociations échouèrent, et lors de leur retrait de la ville en 1799, lui et ses collègues plénipotentiaires furent attaqués et assassinés par des soldats autrichiens. Ce tragique épisode scella le destin de la lignée Bonnier.

La collection de livres d’Ange Bonnier

Ange Bonnier, à l'image de son cousin, était également un grand amateur de livres et de beaux-arts. Après sa mort, sa bibliothèque fut vendue aux enchères. Le Catalogue des livres rares, singuliers et très-bien conditionnés de feu le citoyen Bonnier parut en 1800, et dévoila une impressionnante collection de 2.190 lots. Ce catalogue mettait en avant des ouvrages rares, provenant notamment des plus célèbres ventes aux enchères de l’époque. Bonnier avait pris soin de sélectionner des exemplaires en excellent état, en particulier dans les domaines des sciences naturelles, de la médecine et des belles-lettres.

Parmi les joyaux de cette bibliothèque, on comptait des ouvrages aussi rares que Les Très-merveilleuses Victoires des femmes du Nouveau Monde de Guillaume Postel, ainsi que des éditions précieuses des œuvres d'Ovide et d'Homère, toutes reliées avec soin. Plusieurs de ces livres avaient appartenu au comte d'Hoym, un collectionneur reconnu.

Les Bonnier de La Mosson et d’Alco incarnent une facette fascinante de la culture aristocratique française du XVIIIe siècle, où l'accumulation de savoirs et de collections témoignait du prestige social et intellectuel. Si Joseph Bonnier se démarqua par son cabinet de curiosités à la fois savant et spectaculaire, son cousin Ange perpétua cette tradition à travers une bibliothèque riche et diverse. L'histoire de leurs collections, en particulier les ventes posthumes de leurs trésors, reste aujourd'hui une source inestimable pour les historiens, les bibliophiles et les amateurs d'histoire naturelle.