Kabur, l’heroic fantasy à la française

Dans le paysage de la bande dessinée des années soixante-dix, les éditions Lug de Lyon se distinguaient par une audace certaine, marquant notamment les esprits avec la publication des aventures de Conan le barbare. Ce personnage mythique, né sous la plume de Robert E. Howard et magnifié par le duo Roy Thomas et John Buscema dans le magazine américain Savage Sword of Conan, connut un succès fulgurant en France. Inspiré par cet engouement, Marcel Navarro, alors directeur de Lug, se lança dans une aventure audacieuse : la création d'un héros français dans la même veine. Ainsi naquit Kabur, dont le premier numéro vit le jour le 5 décembre 1975.

Les origines de Kabur : une création franco-italienne

Le personnage de Kabur fut confié à Claude-Jacques Legrand, un écrivain prolifique et polyvalent. Avant de s'aventurer dans l'heroic fantasy, Legrand s'était déjà fait un nom en tant que scénariste pour diverses séries publiées dans le magazine Futura en 1972, telles que Jaleb le télépathe ou encore La Brigade temporelle. Legrand, qui avait également traduit les aventures de Conan pour Lug, possédait une profonde compréhension du genre, qu’il adapta à un contexte plus français pour créer Kabur.

Le dessin de Kabur fut confié à Luciano Bernasconi, un artiste italien de grand talent qui avait déjà collaboré avec Legrand sur des séries comme Jeff Sullivan et Le Gladiateur de bronze. Le duo Legrand-Bernasconi apporta à Kabur une identité visuelle et narrative unique, bien que fortement influencée par Conan.

Un monde protohistorique : entre mythologie et science-fiction

L’univers de Kabur se déploie dans un passé protohistorique peuplé de continents mythiques tels que Thulé, Hyperborée, Gondwana et Gondaxa. Bien que la terre de Kabur rappelle fortement celle de Conan, Legrand y introduit une touche de science-fiction, absente chez Howard. Les récits de Kabur, tout comme ceux de Conan, s’articulent autour d’une structure picaresque, les personnages voyageant de cité en cité, affrontant en chemin monstres et sorciers.

Cependant, Kabur se distingue de Conan par sa personnalité. Fils banni du roi de Thulé, Kabur est moins brutal et plus réfléchi que le barbare cimmérien. Cette distinction fait de Kabur un héros plus proche du Prince Vaillant de Hal Foster, surtout dans ses jeunes années.

La brève épopée de Kabur

Malgré un départ prometteur, la série Kabur ne réussit pas à s’imposer durablement. Le classicisme des dessins de Bernasconi et les scénarios inspirés de Legrand n’avaient pas l’impact retentissant des aventures de Conan, signées Roy Thomas et John Buscema. Kabur avait, dès sa sortie, un aspect déjà un peu démodé. De plus, le choix de publier la série en couleurs, avec les coûts supplémentaires que cela impliquait, contribua à la fin prématurée du magazine après seulement cinq numéros.

Un retour inattendu et un héritage durable

Toutefois, l’histoire de Kabur ne s’arrête pas là. En 2000, Thierry Mornet, alors responsable éditorial chez SEMIC, découvrit dans les archives de Lug une sixième aventure inédite de Kabur, qu’il s’empressa de publier dans Spécial Zembla n°157. Ce n’était que le début d’un retour inespéré pour Kabur. Mornet demanda ensuite à Jean-Marc Lofficier, scénariste expérimenté, de poursuivre la saga. Lofficier, avec la collaboration de Mornet et d’autres artistes tels que Mike Ratera et Willy Hudic, parvint à redonner vie à Kabur, ajoutant plusieurs épisodes à la série, publiés jusqu’en 2003.

En 2019, Kabur fit un retour triomphal aux éditions Hexagon Comics, avec un 24e épisode qui reprenait l’histoire là où elle s’était arrêtée 16 ans plus tôt. Le héros, qui refusait de sombrer dans l’oubli, continua d’évoluer sous la plume de Lofficier et d’autres auteurs talentueux tels que Romain d’Huissier et Julien Heylbroeck, avec des illustrations signées José Luis Ruiz Pérez et Roberto Castro.

Kabur : un héros inoubliable

Kabur est, sans conteste, l’un des premiers héros d’heroic fantasy français en bande dessinée. Malgré une carrière éditoriale marquée par des interruptions, il a su traverser les décennies et demeure une figure emblématique, tant pour les amateurs de bandes dessinées que pour les passionnés de récits fantastiques. À l’approche du cinquantième anniversaire de sa création, Kabur continue de fasciner, prouvant que, malgré les défis, un personnage bien conçu peut perdurer et évoluer, génération après génération.

Le parcours de Kabur, de sa naissance sous l’impulsion de Marcel Navarro à son renouveau sous la houlette de Jean-Marc Lofficier, est un témoignage vibrant de la créativité et de la résilience des créateurs de bande dessinée français. Alors que la série approche de son jubilé, elle est prête à captiver une nouvelle génération de lecteurs, consolidant ainsi sa place dans le panthéon des héros de la bande dessinée mondiale.

Page 1 du premier épisode de « Kabur » par Luciano Bernasconi et Claude-Jacques Legrand.