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La Belgique et ses bibliophiles au XIXe siècle.
En 1844, le baron Frédéric de Reiffenberg, alors conservateur à la Bibliothèque royale de Bruxelles, écrivait avec une certaine fierté : « Il n’est pas de pays au monde qui, toutes proportions gardées, possède plus de livres rares et précieux que la Belgique, et où l’amour des livres soit plus vif et plus général. » Ces quelques mots, gravés dans l’introduction du premier numéro du Bibliophile belge, un mensuel consacré à la bibliophilie, résument parfaitement l'âme littéraire de ce pays, où la passion pour les livres, notamment les ouvrages rares et anciens, a traversé les siècles. Ce phénomène, qui s’étend bien au-delà de la simple collection d'ouvrages, a engendré la création de nombreuses sociétés de bibliophiles à travers la Belgique, des sociétés qui, encore aujourd'hui, sont les gardiennes d'un patrimoine littéraire unique.
Henri-Florent Delmotte et la naissance de la Société des bibliophiles de Mons
Parmi les personnalités marquantes de la bibliophilie belge, Henri-Florent Delmotte occupe une place prépondérante. Né à Mons en 1798, Delmotte fut non seulement notaire, mais aussi bibliothécaire de sa ville. En 1824, il remplaça son père dans ce rôle, et son amour des livres le conduisit à une démarche unique : il s'attacha à réunir tout ce qui était imprimé dans sa ville afin de constituer une Bibliographie montoise, témoignant ainsi de la richesse littéraire de Mons.
C’est à l’initiative de Delmotte qu’est née la première société de bibliophiles de Belgique, la « Société des bibliophiles de Mons », fondée le 4 avril 1835. Delmotte, en tant que président, s’entoura de douze autres membres fondateurs, tous passionnés par les livres et l’histoire locale. Parmi eux se trouvaient des érudits tels que Rénier Chalon, Charles Delecourt ou encore Louis-Prosper Gachard, figures intellectuelles de l’époque. L'objectif de cette société était de publier des documents historiques ou littéraires inédits, ainsi que de réimprimer des ouvrages rares, particulièrement ceux qui concernaient la ville de Mons et la province du Hainaut.
La première publication de la société fut Le gouvernement du pays d’Haynnau (1835), un ouvrage tiré à seulement cent exemplaires, dont une vingtaine sur du papier de haute qualité réservés aux sociétaires. Ces éditions limitées et soignées en font aujourd’hui des trésors recherchés par les bibliophiles et les collectionneurs de livres anciens.
L’expansion de la bibliophilie belge
L’exemple de la société montoise n’est pas resté isolé. La passion pour la bibliophilie gagna rapidement d’autres régions de Belgique. En 1839, la « Société des bibliophiles flamands » fut fondée à Gand par François Vergauwen, un collectionneur avisé dont la bibliothèque personnelle abritait près de 400 incunables. Ces ouvrages imprimés avant 1501 constituent une des richesses les plus rares et les plus prisées dans le monde du livre ancien. Sous la direction de Vergauwen, la société flamande s’attela à la publication de documents rares et d’une extrême valeur historique, surtout concernant la Flandre et le Brabant. Chaque publication était tirée à un nombre très restreint d'exemplaires, ajoutant ainsi à leur exclusivité.
Le baron de Reiffenberg, qui avait contribué à l'essor de la bibliophilie à Bruxelles, fut à l’initiative de la « Société des bibliophiles de Belgique » en 1839, une société qui se donnait pour mission de faire imprimer des ouvrages inédits ou rares sur l’histoire et la littérature du pays. Bien que cette société bruxelloise ait eu une existence éphémère, elle témoigne du dynamisme de la scène bibliophile belge au XIXe siècle.
Les livres anciens, au cœur des publications des sociétés bibliophiles
Les sociétés de bibliophiles belges se distinguaient non seulement par la qualité de leurs membres – souvent des personnalités influentes du monde politique et intellectuel – mais aussi par leur souci du détail dans l’édition de livres rares. Les ouvrages qu’elles publiaient étaient souvent des réimpressions d’incunables ou des éditions critiques de manuscrits anciens, permettant ainsi de préserver et de diffuser un patrimoine littéraire qui, autrement, aurait pu tomber dans l’oubli.
Ainsi, les publications de la « Société des bibliophiles liégeois », fondée en 1863, étaient tirées à seulement cinquante exemplaires numérotés et concernaient principalement l’histoire politique et littéraire de l’ancien pays de Liège. Les membres de cette société, comme Mathieu-Georges-Joseph Fiess ou Stanislas Bormans, étaient des érudits qui mettaient un point d’honneur à produire des ouvrages d’une qualité exceptionnelle, tant sur le plan du contenu que sur celui de la présentation.
Le soin apporté à ces éditions reflète l’importance accordée au livre en tant qu’objet. Chaque ouvrage était imprimé sur des papiers de choix, souvent du papier vergé ou du vélin, des matériaux nobles utilisés depuis des siècles dans l’imprimerie. Ce souci du détail, caractéristique des sociétés bibliophiles belges, leur conférait une aura de prestige et faisait de leurs publications des pièces uniques, recherchées par les collectionneurs de livres anciens.
La place des femmes dans la bibliophilie belge
Pendant longtemps, les sociétés de bibliophiles furent des cercles exclusivement masculins. Ce n’est qu’en 1949 que la première femme, Germaine Feytmans, archéologue et conservatrice du musée de Mariemont, fut admise au sein de la « Société des bibliophiles belges séant à Mons ». Ce changement reflétait l’évolution des mentalités, mais aussi l’importance croissante des femmes dans les milieux intellectuels et littéraires belges. Germaine Feytmans, par ses travaux sur les collections de livres anciens et d’objets d’art, laissait une empreinte indélébile dans l’histoire de la bibliophilie belge.
Un héritage toujours vivant
Si la plupart de ces sociétés de bibliophiles ont vu leur activité diminuer au fil du temps, l’héritage qu’elles ont laissé demeure vivant. Les ouvrages qu’elles ont publiés constituent aujourd’hui un trésor inestimable pour les bibliothèques et les collectionneurs. La Belgique, terre de bibliophiles, a su préserver cet amour des livres anciens, et de nombreux ouvrages rares circulent encore sur le marché des collectionneurs, dans les ventes aux enchères ou dans les salons spécialisés.
Les publications de ces sociétés, en nombre limité, continuent de susciter l’intérêt des amateurs de livres anciens, et les ouvrages rares qu’elles ont fait connaître sont aujourd’hui considérés comme des pièces maîtresses dans l’histoire de l’édition. Ce patrimoine, à la fois tangible et intellectuel, perpétue la passion pour la bibliophilie, rappelant que le livre, objet de culture et de savoir, reste un bien précieux.
La Belgique du XIXe siècle a été le berceau d'une activité bibliophile intense, illustrée par la création de nombreuses sociétés dédiées aux livres rares. Ces sociétés, comme celle de Mons, de Gand ou encore de Liège, ont non seulement contribué à préserver le patrimoine littéraire, mais ont également permis la diffusion de textes anciens, souvent oubliés. Aujourd'hui, les publications de ces sociétés demeurent des trésors pour les collectionneurs, et leur héritage continue d'enrichir le monde de la bibliophilie.
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