La bibliothèque de Joseph Renard et la naissance de la Société des Bibliophiles lyonnais.

En 1884, une vente de livres d'une importance particulière se déroule à Lyon, orchestrée par Auguste Brun, libraire expert, et Laurent Gazagne, commissaire-priseur. La bibliothèque en question, celle de feu Joseph Renard, est un trésor pour tout amateur de livres anciens. Joseph Renard, reconnu pour son goût éclairé et sa passion érudite pour les ouvrages, avait amassé une collection précieuse, incluant des ouvrages rares, des curiosités, et des textes régionaux ayant un lien avec sa province natale.

Cependant, le premier acte de cette histoire tragique avait eu lieu trois ans plus tôt, en 1881, lorsque la première partie de sa collection fut mise en vente à Paris. Cette vente, qui devait honorer la mémoire du bibliophile, s'avéra être un désastre. Victime d'une cabale de libraires, les prix atteints furent dérisoires, et Renard, qui vouait un attachement presque sentimental à sa bibliothèque, en fut profondément blessé. Si profondément, en fait, que l'humiliation de cet échec précipita sa mort.

Toutefois, Lyon, ville de bibliophilie et d'imprimerie par excellence, devait offrir une revanche posthume à Renard. Lorsque la deuxième partie de sa collection fut mise aux enchères en mars 1884, les prix atteints firent oublier l'échec parisien. Un exemple éloquent fut la vente de la plaquette de Vital de Valons, Les origines des familles consulaires de Lyon, adjugée à 181 francs. Ce texte, devenu rare car détruit par des familles influentes gênées par son contenu, représentait l'un des joyaux de cette collection. Lyon s'érigeait ainsi en défenseur de la mémoire de Renard, effaçant l'humiliation subie à Paris.

Mais cette vente eut un autre effet notable : elle fut le point de départ d'une réflexion entre amateurs éclairés présents lors des enchères. Ces derniers, voyant la rareté et la valeur des ouvrages en vente, envisagèrent de s'unir pour réimprimer certaines œuvres précieuses. De cette réflexion naquit l'idée de fonder une société de bibliophiles à Lyon, qui se constituerait autour de cet amour commun pour les livres anciens et rares. Lyon, avec sa longue tradition d'imprimeurs célèbres et de bibliophiles, semblait être l'endroit idéal pour un tel projet.

La première réunion eut lieu chez Léon Galle le 27 mars 1885. Elle rassembla plusieurs figures notoires de la région, dont Humbert de Terrebasse, le Dr Humbert Mollière, Bresson et Dissard. Ce noyau fondateur allait bientôt constituer la Société des Bibliophiles lyonnais, officiellement créée le 21 avril de la même année. Léon Galle, véritable moteur de cette initiative, en devint naturellement l'archiviste-trésorier, tandis que H. de Terrebasse en fut élu président.

La société se fixa pour mission de publier des ouvrages rares ou inédits, principalement des textes ayant un lien avec la région lyonnaise. Les bibliophiles lyonnais, au nombre de vingt, ne se contentaient pas d'amasser des livres. Ils ambitionnaient d'apporter leur contribution à l'érudition locale et nationale en rééditant des textes oubliés, dans une typographie soignée, fidèle à l'esprit des grands imprimeurs lyonnais d'autrefois. Ce souci de perfection typographique, combiné à leur volonté de faire découvrir des œuvres rares, conférait à la société un prestige reconnu bien au-delà de la région.

Parmi les publications notables de la Société, on peut citer plusieurs ouvrages de grande qualité, souvent exécutés avec des moyens financiers modestes mais une rigueur exemplaire. Si les bibliophiles parisiens se concentraient souvent sur des œuvres d'une portée nationale ou internationale, les bibliophiles lyonnais se distinguaient par leur attachement à la culture régionale. Ce particularisme provincial était même perçu comme une force, un argument en faveur d'une approche décentralisée de la bibliophilie. En effet, les publications de la Société des Bibliophiles lyonnais, bien que modestes en termes de tirages, n'avaient rien à envier à celles de leurs confrères parisiens.

Les statuts de la Société, rigoureusement établis, fixaient les modalités de gestion des publications, la répartition des exemplaires numérotés entre les membres, et les critères de sélection des œuvres à réimprimer. Un soin particulier était apporté à chaque publication, depuis le choix des textes jusqu'à la correction des épreuves, confiées à des membres qualifiés. La Société faisait tirer un nombre limité d'exemplaires numérotés, chacun marqué du sceau de la Société, réservés à ses membres et à quelques rares amateurs éclairés.

En somme, la création de la Société des Bibliophiles lyonnais ne fut pas seulement une réponse à la passion de quelques amateurs de livres. Elle traduisait une volonté de sauvegarde et de transmission du patrimoine culturel de la région, tout en s'inscrivant dans une longue tradition de bibliophilie et d'édition. La revanche posthume de Joseph Renard, à travers la renaissance de sa collection et la création de cette société savante, illustrait parfaitement la vitalité et la richesse du monde du livre à Lyon, et plus largement en province, à une époque où Paris semblait souvent dominer la scène culturelle.

L'initiative des Bibliophiles lyonnais est encore aujourd'hui un modèle d'érudition et de passion partagée pour les livres anciens, rappelant que la bibliophilie n'est pas seulement une question de collection, mais également une affaire de transmission et de culture vivante.