Le 15 février 2025, à l’âge de 67 ans, s’est éteinte Chantal De Spiegeleer. Figure à la fois discrète et singulière...
La Bibliothèque de Lord Gosford : un trésor littéraire dispersé à travers les siècles.
La bibliothèque constituée par Archibald Acheson, troisième comte de Gosford (1806-1864), fut l'une des collections les plus remarquables du XIXe siècle, à la fois par son ampleur et par la qualité exceptionnelle de ses ouvrages. Située à l'origine dans le château de Gosford, à Markethill en Irlande du Nord, elle rassemblait des livres rares, des reliures somptueuses et des éditions historiques précieuses. Cependant, son histoire est marquée par des dispersions successives qui ont permis à ces trésors de rejoindre des bibliothèques prestigieuses et des collections privées à travers le monde.
Une bibliothèque d'exception : la genèse et l'âge d'or
Le troisième comte de Gosford entreprit dans les années 1840 de constituer une collection unique, nourrie par son goût pour les belles éditions et son intérêt pour l'histoire, la topographie et la littérature classique. Parmi les joyaux de cette collection figuraient des livres en grand papier, des productions des presses Aldine, ainsi que des ouvrages remarquables par leurs reliures, souvent armoriées et réalisées par les plus grands artisans de l'époque.
En 1878, cette bibliothèque fut vendue par son fils, Archibald Acheson, quatrième comte de Gosford (1841-1922), au libraire londonien James Toovey. Ce dernier, grand connaisseur et marchand de livres rares, en fit une opportunité commerciale majeure en dispersant progressivement la collection.
La dispersion des trésors : ventes à Paris et Londres
La première étape de cette dispersion eut lieu à Paris en 1882, où les ouvrages français de la bibliothèque furent mis aux enchères sous le titre évocateur : Catalogue de livres rares et précieux, la plupart reliés en maroquin ancien avec armoiries, provenant de la bibliothèque d’un amateur anglais. Ce catalogue rassemblait 564 lots, comprenant des exemplaires uniques ou à provenance prestigieuse.
Quelques adjudications marquantes illustrent la richesse de cette vente :
- Psalterium Davidicum (Paris, 1555), un exemplaire ayant appartenu au connétable Anne de Montmorency, fut vendu pour 3 950 francs au duc d’Aumale.
- Les Œuvres morales et meslées de Plutarque (Paris, 1574), somptueusement reliées avec des armes royales, furent adjugées pour 1 510 francs.
- Hypnerotomachia Poliphili (Venise, Alde Manuce, 1499), chef-d'œuvre de la typographie et de l'illustration, atteignit 14 800 francs.
Deux ans plus tard, en 1884, les ouvrages restant furent dispersés à Londres lors d'une vente intitulée Catalogue of the fine, extensive and valuable library of the Rt. Hon. The Earl of Gosford. Cette vente inclut des lots emblématiques, dont un exemplaire du premier tome de la Bible de Gutenberg sur papier, adjugé 500 livres sterling. Cet ouvrage connut par la suite une histoire mouvementée, passant entre les mains de collectionneurs illustres avant d’être acquis par l’université Keio de Tokyo en 1996.
Les reliques de la collection Gosford
Malgré ces dispersions, certaines pièces de la bibliothèque de Gosford subsistent aujourd'hui dans des collections célèbres, notamment à la Pierpont Morgan Library à New York. Parmi elles :
- Une Anthologia epigrammatum graecorum (Florence, 1494), aux armes de Jacques-Auguste de Thou et de sa seconde épouse.
- Un Liber psalmorum (Paris, 1582), somptueusement relié pour Henri III.
- Une édition des Œuvres de César (Amsterdam, 1661), ornée des armes et du chiffre de Dufresnoy.
James Toovey : le passeur d’un héritage littéraire
James Toovey, l’acquéreur initial de la bibliothèque de Gosford, joua un rôle clé dans la mise en lumière de cette collection. En 1880, il publia un catalogue dédié aux productions des presses Aldine, dont il détenait une collection exceptionnelle. Une partie de ces ouvrages, ainsi que d'autres volumes précieux, fut ensuite vendue à John Pierpont Morgan, enrichissant ainsi la fameuse Pierpont Morgan Library.
Un héritage perpétué
La bibliothèque de Lord Gosford témoigne du raffinement et de l’érudition des collectionneurs du XIXe siècle. Les livres qui en sont issus, aujourd'hui éparpillés dans le monde entier, continuent de fasciner par leur histoire et leur beauté. Chaque volume, par sa reliure, ses annotations ou sa provenance, incarne une époque où l’art du livre atteignait son apogée, rendant hommage au goût et à la vision de son premier propriétaire.
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