La Bibliothèque des Lamoignon : héritage d'une lignée de magistrats et d'érudits.

La Bibliothèque des Lamoignon, fondée par Guillaume de Lamoignon vers le milieu du XVIIᵉ siècle, est un témoin précieux de l’histoire intellectuelle française et du patrimoine bibliophilique d’une lignée de magistrats et d’érudits qui s’illustra dans les milieux judiciaires et littéraires durant près de cent-cinquante ans. Son parcours s’inscrit dans une tradition d’excellence et de préservation des savoirs, révélant l’attention que les Lamoignon portaient aux livres, à la connaissance et à la préservation d’œuvres rares.

Une famille de notables ancrée dans la tradition

Les Lamoignon tirent leur nom d’un fief près de Donzy, dans la Nièvre, mais leur reconnaissance au niveau national débuta avec Charles de Lamoignon, né en 1514. Ce dernier fut le premier à quitter la province pour Paris en 1544, où il fut reçu avocat au Parlement. En 1559, il acquit la seigneurie de Bâville, aujourd’hui Saint-Chéron dans l’Essonne, lieu qui deviendra symbolique dans l’histoire familiale.

Son fils, Chrétien de Lamoignon (1567-1636), continuera de renforcer l’influence de la famille. À la tête de plusieurs offices judiciaires, il fit bâtir entre 1625 et 1629 le château de Bâville à la place de l’ancien manoir. Chrétien fut un des huit présidents « au mortier » du Parlement de Paris, charge distinctive parmi les magistrats parisiens. Leur particularité se traduisait par un couvre-chef, le mortier, de velours noir galonné d’or, qui symbolisait leur rôle éminent.

Guillaume de Lamoignon et la naissance de la Bibliothèque

L’apogée de la bibliothèque survient avec Guillaume de Lamoignon (1617-1677), personnage central dans l’évolution de la collection. Reçu premier président au Parlement de Paris en 1658, Guillaume, ardent protecteur des lettres, transformait sa résidence de l’hôtel de Lamoignon, situé rue Pavée à Paris (actuelle Bibliothèque historique de la Ville de Paris), en un lieu de rencontre pour les écrivains de son époque. Autour de lui se retrouvaient Jean Racine, Boileau, la marquise de Sévigné et d’autres éminences de la littérature.

Guillaume constituait alors une bibliothèque considérable, identifiée par ses armes, « Losangé d’argent et de sable, au franc quartier d’hermines », ou par ses initiales, « GDL ». Cette marque d’appartenance apparaissait sur chaque volume, faisant de la collection un héritage précieux et soigneusement identifiable.

Chrétien-François de Lamoignon et l’enrichissement de la Bibliothèque

À la mort de Guillaume, son fils Chrétien-François de Lamoignon (1644-1709), nommé avocat général puis président « au mortier », hérita de cette bibliothèque. Grand ami des hommes de lettres, Chrétien-François ajouta à la collection familiale des volumes notables. En 1680, il chargea le savant Adrien Baillet d’en dresser un catalogue manuscrit monumental en 35 volumes in-folio, organisation soignée qui allait servir de base aux générations suivantes.

Les ouvrages de la bibliothèque des Lamoignon, désormais nommée « Bibliotheca Lamoniana », portaient l’ex-libris imprimé de la famille et un timbre humide représentant un « L » couronné, signe distinctif dans les marges des pages. Ces détails permettaient de reconnaître facilement les ouvrages, qui étaient souvent reliés avec grand soin, et dont certains conservaient les emblèmes propres aux Lamoignon.

La bibliothèque de Chrétien-François [II] de Lamoignon et les ajouts de Nicolas-René Berryer

L’apport le plus significatif fut celui de Chrétien-François II de Lamoignon (1735-1789), qui s’illustra par son opposition au chancelier Maupeou et son soutien à des réformes ambitieuses qui annonçaient la Révolution. Ce dernier hérita en 1762 de la bibliothèque de son beau-père, Nicolas-René Berryer (1703-1762), qui avait constitué un cabinet de livres grecs et latins d’une rare qualité, n’hésitant pas à remplacer les exemplaires moins beaux par des éditions de premier choix. Berryer se distinguait par sa passion pour les éditions de luxe, souvent reliées en maroquin et provenant des meilleurs ateliers.

Le prestigieux Catalogue de 1770

Avant d’intégrer le cabinet de Berryer, Chrétien-François II de Lamoignon fit procéder à une révision du catalogue rédigé par Baillet pour retirer les éditions communes ou redondantes, tout en y ajoutant les volumes de Berryer. Cette fusion aboutit à un catalogue imprimé en 1770, limité à quelques exemplaires destinés à l’usage privé de la famille.

La bibliothèque des Lamoignon rassemblait les cinq classes principales : Théologie, Jurisprudence, Sciences et Arts, Belles-Lettres, et Histoire. Chacune de ces classes recelait des œuvres rares et somptueuses, des Bibles en éditions luxueuses, des traités de droit civil et canonique, jusqu’aux œuvres des grands poètes antiques et modernes en grand papier. La richesse des éditions grecques et latines et la finesse des reliures attestent de l’attention portée aux choix littéraires et esthétiques.

La dispersion de la « Bibliotheca Lamoniana »

À la mort de Chrétien-François II de Lamoignon en 1789, la collection fut vendue en bloc à Jean-Gabriel Mérigot, un libraire renommé de l’époque. Mérigot dressa un catalogue de vente en trois volumes, où il exposait l’ampleur et la rareté de la bibliothèque, des reliures en maroquin aux œuvres imprimées sur vélin et ornées de miniatures. Parmi les pièces maîtresses, on comptait des volumes reliés par Étienne Anguerrand, maître relieur reconnu, et une rare collection de manuscrits parlementaires et de correspondances d’État.

En 1792, l’ensemble de la bibliothèque fut finalement acquis par le libraire anglais Thomas Payne, qui la fit voyager outre-Manche, contribuant ainsi à la dispersion de ce patrimoine unique. Il en publia un catalogue l’année suivante, attestant de l’importance que revêtait la Bibliothèque des Lamoignon dans le paysage bibliophilique européen.

Héritage et influence

À travers la Bibliothèque des Lamoignon, c’est une partie de l’histoire intellectuelle et culturelle française qui s’illustre. En rassemblant et en préservant des volumes exceptionnels, la famille Lamoignon incarne un idéal de collectionneur éclairé, soucieux de sauvegarder et de transmettre un savoir riche et varié. Le soin extrême porté aux choix des ouvrages, aux reliures et aux catalogues confère à cette collection une place d’honneur dans la mémoire des bibliophiles et historiens du livre.