La lithographie au XIXe siècle : révolution de la pierre et du trait.

L’histoire de l’image imprimée est jalonnée d’inventions majeures. Mais peu ont eu autant d’impact que la lithographie, cette technique née à la fin du XVIIIe siècle et qui a transformé, tout au long du XIXe, notre manière de dessiner, d’imprimer et de diffuser l’image. En réunissant art, industrie et communication, elle a permis à une génération d’artistes de s’emparer d’un nouveau langage plastique et de faire entrer l’image dans la modernité.

Une invention venue de Bavière

C’est en 1796 que l’acteur et auteur dramatique bavarois Aloys Senefelder découvre, presque accidentellement, un procédé qui allait bouleverser les arts graphiques. À la recherche d’un moyen économique de reproduire ses textes, il remarque que la pierre calcaire a la propriété de retenir ou repousser l’encre selon les traitements qu’on lui applique. Ainsi naît la lithographie, du grec lithos (pierre) et graphein (écrire).

Contrairement à la gravure en taille-douce ou sur bois, la lithographie ne creuse pas la matrice : le dessin, réalisé à l’encre ou au crayon gras directement sur la pierre, est ensuite fixé chimiquement. Lors de l’impression, seules les parties grasses attirent l’encre, tandis que les autres, humidifiées, la repoussent. Cette simplicité apparente ouvre une liberté gestuelle inédite aux artistes.

Une technique au service de la modernité

Au XIXe siècle, la lithographie devient un support de création et de diffusion idéal. Rapide, économique, elle répond à l’essor de la presse, de la publicité, de la caricature et de l’illustration. Les artistes l’adoptent massivement. Elle leur permet d’improviser, de reproduire à grande échelle, de capter l’instant.

L’un de ses grands mérites est de restituer fidèlement la spontanéité du trait, ce que la gravure traditionnelle, plus laborieuse, ne permettait guère. Les possibilités expressives sont immenses : hachures nerveuses, lavis aériens, jeux de textures… Avec la lithographie, l’image devient presque aussi vive qu’un croquis à main levée.

Daumier, Doré, Lunois… les grands noms de la pierre

Honoré Daumier : le regard acéré

Daumier est sans doute l’artiste qui a le plus incarné la lithographie de presse. Dans les colonnes de La Caricature ou du Charivari, il croque l’actualité politique, judiciaire et sociale avec un mordant inégalé. Ses lithographies dénoncent les travers du pouvoir, tout en donnant à voir une galerie de types humains, tendres ou féroces. Grâce à la pierre, Daumier dessine presque à la vitesse de la pensée.

Gustave Doré : les débuts sur pierre

Avant de devenir l’immense illustrateur que l’on connaît, Gustave Doré débute dans les années 1840 avec un album lithographié intitulé Les Travaux d’Hercule. Le jeune prodige, alors adolescent, y déploie déjà une puissance narrative impressionnante. Plus tard, il illustre les Contes de Perrault (1862) avec une sensibilité onirique où la pierre restitue à merveille les jeux d’ombres et de lumière.

Alexandre Lunois : le lavis et la couleur

Lunois, souvent méconnu, est pourtant un maître du lavis lithographique. À la fin du XIXe siècle, il donne à ses vues de Paris ou d’Orient une douceur aquarellée, presque tactile. Avec lui, la lithographie se rapproche de la peinture : les tons se superposent, les contours s’estompent, les scènes prennent vie.

Ignace Bonhommé : la poésie industrielle

Chez Bonhommé, la lithographie devient un instrument documentaire. Il fixe sur la pierre les grandes scènes de l’industrialisation : forges, mines, chantiers monumentaux. Loin d’une vision froide, ses planches comme Descente dans la mine marient exactitude technique et dramatisation visuelle.

Auguste Delâtre : l’imprimeur-artiste

Enfin, Auguste Delâtre incarne le versant artisanal et novateur de la lithographie. Imprimeur mais aussi artiste, il collabore avec Corot, Millet ou Delacroix, et expérimente sans relâche : surimpressions, jeux de teintes, effets de matière. Son atelier devient un haut lieu de l’estampe parisienne.

La lithographie : entre art et diffusion

L’histoire de la lithographie au XIXe siècle est aussi celle d’une démocratisation de l’image. Grâce à elle, les artistes peuvent diffuser leurs œuvres plus largement, à moindre coût. Les maisons d’édition, comme celles d’Aubert ou de Hachette, se lancent dans de grandes séries illustrées. La presse illustrée explose. Les affiches de rue deviennent objets d’art. Et peu à peu, l’image entre dans les foyers.

Ce dialogue entre expression artistique et reproduction industrielle est au cœur de la modernité visuelle du XIXe siècle. Avec la lithographie, le dessin cesse d’être rare : il devient vivant, multiple, partageable.

Pour prolonger la découverte

Quelques ouvrages et planches marquantes :

• Gustave Doré, Les Travaux d’Hercule (1847) – Son tout premier album lithographié, déjà virtuose.

• Gustave Doré, Contes de Perrault (1862) – Une merveille d’atmosphère et de narration graphique.

• Ignace Bonhommé, Descente dans la mine – Une gravure bouleversante sur l’univers ouvrier.

• Alexandre Lunois, Scènes de Paris et d’Orient – Pour la finesse picturale du lavis lithographique.

Conclusion

Technique hybride entre dessin et impression, la lithographie a marqué le XIXe siècle d’une empreinte forte et subtile. Elle a offert aux artistes une liberté nouvelle, et au public une accessibilité sans précédent à l’art graphique. Plus qu’un procédé, elle fut une aventure visuelle, une passerelle entre l’art et la société. Aujourd’hui encore, dans les collections de la BnF ou sur les murs des musées, ces pierres gravées témoignent d’un siècle qui dessinait le monde avec intensité.