L’Apocalypse de Jean, ultime livre du Nouveau Testament, est l’un des textes les plus mystérieux et les plus...
La reliure aldine, joyau artisanal du XVIe siècle.
L’histoire de la reliure aldine ne se résume pas seulement à des techniques de fabrication. Elle est également le reflet des influences artistiques qui ont marqué la Renaissance, en particulier dans le domaine de l’ornementation des livres. À la fin du XVe siècle, un tournant majeur s’opère avec l’introduction de motifs décoratifs qui perdureront pendant plusieurs siècles et marqueront l'évolution de l'art de la reliure et de l'imprimerie. L'un de ces motifs, la feuille de vigne, appelée feuille aldine, est un symbole fort de cette époque. Alde Manuce, pionnier de l'imprimerie vénitienne, a joué un rôle central dans cette évolution.
La feuille aldine : un motif iconique
Vers la fin du XVe siècle, Alde Manuce, imprimeur établi à Venise, réalise les premiers poinçons du motif de la feuille de vigne, stabilisant ainsi un ornement auparavant très variable. Ce motif, réalisé jusqu’alors à la main, prenait des formes changeantes selon l’artiste. Manuce fixe alors ce motif sous une forme désormais appelée "feuille aldine". Ce motif représente généralement des feuilles légèrement recourbées, avec des tiges issues de sarments plus ou moins élancés. Ces feuilles, symbolisant à la fois la nature et la vitalité, ornent les reliures avec une élégance nouvelle. Très vite, la feuille aldine devient un élément central des décorations de reliure, en particulier sur les ouvrages sortis des presses des Alde.
La feuille aldine n’est pas seulement un motif décoratif, elle est également un signe de qualité. Elle évoque l’attention portée aux détails par Alde Manuce et son souci de perfection dans chaque aspect de la production de ses livres. Cette innovation, qui peut sembler purement esthétique, a durablement influencé l’art de la reliure jusqu’à la fin du XVIe siècle, et demeure un motif prisé des collectionneurs aujourd’hui.
L'influence des motifs orientaux et l’apparition de l’arabesque
Outre la feuille aldine, Alde Manuce s’inspire également des motifs orientaux présents dans les manuscrits conservés dans les bibliothèques vénitiennes. Cette influence se manifeste notamment dans l’utilisation de l’arabesque, un motif décoratif complexe, composé de rinceaux ramifiés et stylisés, qui apparaît sur les reliures à partir du début du XVIe siècle. En 1501, Alde Manuce inaugure l’utilisation de l’arabesque sur la couverture de son édition de Martial. Cette nouveauté marque un tournant dans l'art de la reliure.
L’arabesque, avec ses entrelacements et ses répétitions régulières, remplit les surfaces des reliures de manière complexe et harmonieuse. Ce motif devient rapidement l’un des éléments décoratifs principaux de la reliure et de l’imprimerie à cette époque. Le rythme et la fluidité de l’arabesque confèrent aux reliures une légèreté visuelle tout en conservant une grande richesse ornementale. Stanley Morison, un grand spécialiste des ornements typographiques, la qualifie d’ailleurs de "forme la plus riche et la plus décorative" de cette époque. Il considère l’arabesque comme une composante essentielle de l'art typographique, ce que Goethe lui-même souligne dans son œuvre Von Arabesken, affirmant que "les arabesques semblent avoir apporté et répandu gaieté, insouciance, envie de beauté".
La redécouverte de la feuille aldine et des motifs du XVIe siècle
Bien que la feuille aldine ait connu un grand succès à son époque, elle a parfois été négligée dans la littérature spécialisée consacrée à l’histoire de l’ornementation. Ce n'est que récemment que des chercheurs ont entrepris d'étudier ces motifs en profondeur. Bertram Schmidt-Friderichs, par exemple, a minutieusement étudié la feuille aldine lors d’un projet visant à créer une nouvelle feuille comme marque pour l’éditeur Hermann Schmidt à Mayence. Son travail a mis en lumière la richesse et la complexité de ce motif.
Malgré le peu de documentation disponible, certaines publications ont tenté de combler cette lacune. En 1923, Stanley Morison, dans son ouvrage Printer’s Flowers and Arabesques, évoque les ornements d’imprimerie et de reliure du XVIe siècle, y compris la feuille aldine. Un an plus tard, la Lanston Monotype Corporation publie une brochure intitulée Fine Ornament & Decorative Material available to Monotype Users, où Morison actualise ses recherches sur les motifs typographiques. Morison ne s'arrête pas là, et dans ses travaux ultérieurs, il examine les motifs utilisés par les typographes français tels que Granjon et Fournier, confirmant ainsi l’importance de l’arabesque et de la feuille aldine dans l’art de la reliure et de l’imprimerie.
La reliure aldine, au-delà de son rôle de protection des ouvrages, est un véritable témoignage de l’innovation artistique de la Renaissance. Les motifs tels que la feuille aldine ou l’arabesque révèlent l’influence des traditions orientales et occidentales dans l’art de la reliure et de l’imprimerie. À travers ces ornements, Alde Manuce a su insuffler une nouvelle esthétique qui a marqué son époque et perdure encore aujourd'hui dans l'histoire du livre.
Le travail de figures comme Stanley Morison et Bertram Schmidt-Friderichs a permis de redécouvrir et d’approfondir notre compréhension de ces ornements. Ils nous rappellent que l’ornementation des livres n’est pas seulement un détail secondaire, mais un élément essentiel de l’histoire du livre. Les reliures aldines, ornées de motifs tels que la feuille aldine et l’arabesque, témoignent du souci du détail et de la recherche d’harmonie esthétique qui caractérisent l’art de la Renaissance. Ce mariage entre tradition et innovation continue d’inspirer les amateurs de livres anciens, qui voient dans ces reliures des œuvres d'art à part entière.
Laissez un commentaire
Connectez-vous pour publier des commentaires