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La reliure aux armes, une tradition héraldique et bibliophile.
Parmi les multiples facettes de l’histoire des livres anciens, la reliure aux armes occupe une place de choix. Ce type de décor, omniprésent dans les collections des bibliophiles, témoigne non seulement du goût artistique des possesseurs de livres mais aussi de l’importance de l’héraldique dans les pratiques sociales et culturelles des époques passées. À travers les siècles, les reliures ornées d’armoiries se sont imposées comme un moyen d’afficher son rang, son appartenance familiale ou même ses alliances politiques. Mais que savons-nous vraiment de ces reliures aux armes qui, depuis la fin du XVe siècle, ont paré de nombreux ouvrages prestigieux ?
Une origine au croisement de l'art et du pouvoir
Les premières reliures aux armes apparaissent à la charnière du Moyen Âge et de la Renaissance, à une époque où les symboles héraldiques jouent un rôle central dans la représentation du pouvoir et de l’identité. Dès la fin du XVe siècle, certaines personnalités influentes de l’époque, notamment des membres de la noblesse, commencent à faire orner les reliures de leurs livres avec leurs armoiries. Cependant, c’est au cours des XVIIe et XVIIIe siècles que cette pratique devient véritablement courante et se répand parmi les classes privilégiées.
Ces reliures, souvent luxueuses, étaient réalisées par des artisans spécialisés. Les armoiries du possesseur du livre, apposées au centre du premier plat, voire des deux plats, étaient généralement dorées à chaud, ce qui conférait à l'ouvrage un caractère aussi majestueux que personnel. Ainsi, un simple livre devenait un objet symbolique, reflet de la richesse et du statut de son propriétaire.
L’art de la reliure aux armes
Si l’écu, cœur de l’armoirie, identifie la famille du possesseur du livre, il est souvent accompagné d’une série d’ornements extérieurs qui varient selon le rang social et les préférences esthétiques de l’époque. Les reliures les plus élaborées intègrent des supports, tels que des lions, des licornes ou des cerfs, de part et d’autre de l’écu. Ces figures, désignées comme des « tenants » lorsqu’elles prennent une forme humaine, ajoutent une dimension narrative à l’armoirie en symbolisant des qualités ou des vertus propres à la famille. Dans certains cas, le timbre, un élément placé au-dessus de l’écu, peut prendre la forme d’un casque de chevalier, d’une couronne ou même d’un chapeau.
Autour de l’écu, les lambrequins, sortes de rubans ondoyants, se déploient dans des motifs ornementaux, ajoutant une note de mouvement et de finesse à l’ensemble. Parfois, un collier d’ordre de chevalerie, parsemé de pendentifs ou de médailles, ceint l’écu, renforçant l’idée d’une distinction honorifique. À cela s’ajoute souvent un cri d’armes, telle une devise combattive, surplombant l’armoirie, tandis que, tout en bas, une sentence (improprement qualifiée de devise) vient en souligner le sens.
Il est intéressant de noter que la composition de ces armoiries varie grandement selon les époques et les possesseurs. Parfois, un simple écu suffira à orner une reliure, tandis que dans d’autres cas, une profusion de symboles et de détails complexifie la lecture de l’armoirie.
La fonction symbolique de la reliure aux armes
Au-delà de son aspect purement esthétique, la reliure aux armes remplit avant tout une fonction d’identification. En apposant leurs armoiries sur la couverture d’un livre, les bibliophiles affirmaient la propriété de l’ouvrage et l’intégraient dans leur collection privée. Toutefois, l’armoirie n’était pas uniquement réservée au propriétaire du livre. Il n’était pas rare qu’un auteur ou un éditeur fasse relier un ouvrage aux armes d’un personnage influent, en guise de dédicace ou d’hommage. Ce geste honorifique pouvait aussi bien s’adresser à un noble mécène qu’à une personnalité intellectuelle de renom.
Parfois, des mécènes offraient des livres reliés à leurs armes pour récompenser des élèves brillants dans des établissements scolaires. Ces ouvrages, dont l’armoirie n’était pas celle de l’étudiant mais bien celle du mécène, représentaient une distinction prestigieuse et un encouragement à la poursuite de l’excellence. Ces exemplaires, parés d’armoiries ostentatoires, n’entraient jamais dans la bibliothèque personnelle de la personne dont ils arboraient les armes, mais rejoignaient souvent des collections privées ou institutionnelles.
La reliure aux armes et la fraude : un danger pour le collectionneur
Si la reliure aux armes jouit d’une histoire noble, elle a également été l’objet de falsifications. Certains collectionneurs malintentionnés ont fait apposer des armoiries célèbres et lucratives sur des ouvrages ordinaires afin d’augmenter leur valeur marchande. L’exemple le plus frappant de cette pratique concerne les reliures aux armes de Madame de Pompadour. Cette favorite du roi Louis XV, grande bibliophile, possédait une bibliothèque somptueuse dont les ouvrages étaient ornés de ses armoiries. Mais de nombreux livres qui prétendent aujourd'hui être issus de cette collection sont en réalité des falsifications.
La reliure aux armes, une tradition perpétuée
L’engouement pour la reliure aux armes ne s’est pas éteint avec l’Ancien Régime. Au XIXe siècle, de nombreux amateurs éclairés ont cherché à faire revivre cette tradition, notamment en faisant relier des livres aux armes de personnages illustres du passé. Cette pratique se poursuivit au XXe siècle, bien que plus sporadiquement.
Les villes elles-mêmes ont pris part à cette tradition, notamment en faisant relier des ouvrages municipaux à leurs armoiries. Ces livres, offerts aux dignitaires de passage, sont des témoins précieux de l’importance accordée au protocole et à la représentation officielle.
La reliure aux armes, bien plus qu’un simple ornement, est le reflet d’une époque où les symboles et les signes extérieurs de distinction occupaient une place prépondérante. Elle témoigne du lien étroit entre l’art de la reliure et l’héraldique, et constitue aujourd’hui un champ d’étude passionnant pour les bibliophiles et les historiens du livre. Dans la collection d’un amateur de livres anciens, ces reliures, au-delà de leur aspect esthétique, racontent une histoire, celle de leurs anciens possesseurs et du soin apporté à la préservation et à la transmission des savoirs et des identités.
Reliure en maroquin citron à décor imprimé (motif floral) aux armes de Jacques-Auguste de Thou, Paris, atelier non identifié, entre 1602 et 1617.
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