C’est une véritable œuvre d’art, un joyau de papier aussi rare que somptueux, qui s’apprête à prendre la lumière :...
Le duc d'Aumale : un destin entre art, livres rares et héritage princier.
Le duc d’Aumale, Henri-Eugène-Philippe d’Orléans (1822-1897), est une figure emblématique de l’histoire des bibliophiles et des collectionneurs d’art. Fils du roi des Français Louis-Philippe Ier et de Marie-Amélie de Bourbon, il s’est distingué à la fois comme militaire, homme politique, écrivain et, surtout, passionné de livres anciens et d’objets d’art. Son nom reste attaché à la prise de la smala d’Abd el-Kader en 1843, une victoire qui le projeta sur le devant de la scène. Mais derrière ce héros de la conquête coloniale, se cachait un homme cultivé, profondément attaché aux livres et aux œuvres d’art, qui consacra une grande partie de sa vie à la constitution d’une collection exceptionnelle.
Les débuts d’une passion bibliophile
C’est durant son premier exil en Angleterre, consécutif à la révolution de 1848, que le duc d’Aumale trouva dans les livres un refuge. Installé à Orléans House à Twickenham, il se lia d’amitié avec plusieurs grands bibliophiles anglais, tout en restant en contact avec son ancien précepteur, l’historien Alfred-Auguste Cuvillier-Fleury. Dans une lettre adressée à ce dernier en décembre 1848, le duc se décrit comme un « bibliomane » naissant, passant des heures chez les libraires londoniens à observer les livres anciens, souvent se contentant d’emporter le catalogue. Cette quête insatiable de connaissances et d’œuvres rares le conduira à fréquenter les ventes publiques les plus prestigieuses, tant en France qu’en Angleterre.
En 1850, malgré une année qualifiée de « mauvaise pour les livres et la bibliophilie », il réalisa plusieurs acquisitions importantes, comme un exemplaire des Cent Nouvelles nouvelles reliées par Capé et une rare relation de la prise d’Alger par Charles-Quint. Son goût pour les livres imprimés se développa davantage en 1851, lorsqu’il acquit la bibliothèque de Frank Hall Standish, un collectionneur anglais, comprenant plus de 3 500 volumes, dont 250 incunables. Parmi les œuvres notables qu’il obtint cette année-là figurent des classiques de la littérature française, tels que Les Œuvres d’Alain Chartier et Les Œuvres poétiques de Forcadel.
Une collection au rayonnement international
Au fil des ans, le duc d’Aumale ne cessa d’enrichir sa collection. En 1852, il se rendit à Londres pour assister à la vente des livres d’Edward Utterson, un bibliophile bien connu, et acquit des ouvrages précieux tels que La Très élégante Histoire du roy Perceforest, exemplaire unique imprimé sur vélin. Toujours en quête de perles rares, il acheta à la vente Walckenaer en 1853 un exemplaire de la Cosmographia de Ptolémée, considéré comme le premier ouvrage illustré par des gravures en taille-douce.
L’engouement du duc pour les reliures d’exception ne fit que croître. Dès 1850, il déclarait son amour pour les livres rares et les jolies reliures, indiquant qu’il était prêt à en payer le prix. Il collabora ainsi avec plusieurs des plus grands relieurs parisiens de l’époque, comme Hippolyte Duru, Laurent-Antoine Bauzonnet, Georges Trautz et Pierre-Marcellin Lortic. Chacun d’eux contribua à embellir sa collection, tant par la qualité des reliures que par leur technicité.
En 1866, à la vente de la bibliothèque du prince Sigismond Radziwill, le duc fit l’acquisition d’un exemplaire unique des Chansons mises en musique par de La Borde, un ouvrage orné de dessins originaux qui avait appartenu à Marie-Antoinette. Ce fut l’une des nombreuses pièces maîtresses de sa collection, qui comptait, à la fin de sa vie, plus de 11 500 volumes imprimés et 1 500 manuscrits.
Le legs de Chantilly
Veuf et sans enfants survivants, le duc d’Aumale légua à l’Institut de France son domaine de Chantilly, hérité en 1830 du dernier prince de Condé, ainsi que l’intégralité de ses collections. Ce geste, motivé par son désir de préserver l’intégrité de son œuvre, permit de transformer le château de Chantilly en l’un des plus beaux musées de France, où l’on peut encore admirer aujourd’hui sa vaste collection de manuscrits, d’incunables et d’œuvres d’art.
Le « Cabinet des Livres » qu’il aménagea dans le Petit Château de Chantilly entre 1875 et 1878 témoigne de la minutie et de la passion avec lesquelles il conçut cet espace dédié à l’étude et à la préservation du patrimoine littéraire et artistique. Selon l’historien Georges Picot, la collection du duc se distinguait par sa cohérence et par la profonde connaissance qu’il avait de chaque ouvrage, ce qui faisait de lui bien plus qu’un simple collectionneur.
Un bibliophile érudit
Le duc d’Aumale ne se contentait pas d’amasser des livres. Il était également un auteur érudit, publiant anonymement plusieurs études et articles sur des sujets historiques. Son œuvre majeure reste l’Histoire des princes de Condé, une entreprise ambitieuse qui occupa plusieurs décennies de sa vie et fut publiée en huit volumes entre 1885 et 1896.
Son amour des livres et de l’histoire transparaît dans l’ensemble de ses écrits. Il participa également activement à des sociétés de bibliophiles, comme la Société des Bibliophiles françois et la Société des Amis des Livres, avec lesquelles il entretenait des liens étroits.
Le duc d’Aumale incarne à la perfection la figure du bibliophile passionné et érudit, dont l’œuvre de collection dépasse largement la simple accumulation d’objets. À travers ses achats, ses écrits et son legs, il a laissé une empreinte indélébile dans l’histoire de la bibliophilie. Ses manuscrits, incunables et livres rares, soigneusement préservés à Chantilly, continuent d’inspirer les amateurs d’art et de littérature du monde entier.
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