Le Livre galant français au XVIIIe siècle : entre clandestinité et raffinement.

Il est des livres qui se cachent derrière les rideaux de l’histoire, glissés dans des tiroirs secrets ou passés de main en main à la faveur d’une connivence silencieuse. Le livre érotique français du XVIIIe siècle appartient à cette catégorie. Loin des vitrines officielles, il vécut dans l’ombre, mais son éclat n’en fut que plus vif, car il portait en lui un double mouvement : celui d’un désir charnel et celui d’une liberté d’expression en lutte contre les censures politiques et religieuses.

Le siècle des Lumières et les ténèbres de la censure

Le XVIIIe siècle est celui des Lumières, mais aussi celui de la censure. L’imprimerie, surveillée de près par le pouvoir royal, obéissait à des règles strictes. Pourtant, dans les marges de cette surveillance, un marché parallèle s’organisait. Des imprimeurs de Hollande, de Suisse ou de la vallée du Rhin se spécialisaient dans la production d’ouvrages clandestins. Ces livres entraient en France par les frontières, dissimulés dans des ballots de marchandises, transportés par des colporteurs audacieux.

Dans cette circulation souterraine, les écrits philosophiques de Voltaire ou de Rousseau côtoyaient des volumes bien différents : ceux où le corps devenait le terrain d’un imaginaire sulfureux. Les mêmes réseaux qui diffusaient les Lettres philosophiques propageaient aussi des Filles de joie de papier.

Un érotisme de salon

Le livre érotique français du XVIIIe siècle n’était pas seulement un manuel de lubricité. Il avait son élégance, sa littérature propre. Dans les salons parisiens, on goûtait autant le sel de l’esprit que celui de la chair. Les recueils de contes libertins mettaient en scène des intrigues galantes, où les marquises et les abbés, les jeunes novices et les courtisanes, évoluaient dans une atmosphère à la fois légère et suggestive.

On y retrouvait le goût du badinage cher à Crébillon fils, où la séduction se déployait comme une partie d’échecs. Mais au-delà des jeux d’esprit, le XVIIIe siècle inventa un érotisme plus direct, où la description du corps et des plaisirs ne se dissimulait plus derrière des allusions, mais osait l’explicite.

De la sensualité à la provocation

Certains textes, tel Thérèse philosophe, publié vers 1748, franchissaient ouvertement la frontière entre la galanterie et l’obscénité. Derrière l’intrigue – une jeune femme découvrant les secrets de la volupté – se cachait une véritable charge contre l’hypocrisie des institutions, notamment religieuses. L’érotisme devenait arme polémique : montrer un prêtre en proie aux désirs charnels, c’était ébranler le socle même de l’autorité spirituelle.

Dans le sillage de Thérèse philosophe, d’autres récits circulèrent : Histoire de Dom Bougre, portier des Chartreux (1741), satire féroce autant qu’aventure grivoise ; Les Bijoux indiscrets de Diderot (1748), qui, sous une fantaisie orientale, donnait la parole aux organes féminins pour dire les secrets des alcôves. Ces livres conjuguaient plaisir du récit, sensualité des scènes et critique sociale. Le corps devenait métaphore du pouvoir, et le désir, un discours sur la liberté.

Le raffinement du livre objet

Ces ouvrages ne se limitaient pas à leur contenu. Ils étaient souvent imprimés avec soin, parfois accompagnés de gravures d’une grande délicatesse. L’estampe érotique, avec ses scènes suggestives et ses jeux de voiles transparents, ajoutait à la lecture une dimension visuelle.

Posséder de tels volumes n’était pas anodin : c’était afficher un goût pour l’interdit, cultiver une appartenance à une élite lettrée qui s’autorisait des plaisirs proscrits. Dans certaines bibliothèques aristocratiques, on aménageait même un « enfer », un meuble ou un compartiment secret, réservé à ces ouvrages que l’on ne montrait pas mais dont la possession conférait prestige et complicité.

Héritage et scandale

Le livre érotique du XVIIIe siècle est le miroir d’une époque paradoxale : siècle des Lumières qui proclamait la liberté de penser, mais qui cachait ses désirs derrière des paravents ; siècle de la raison qui s’abandonnait à la volupté.

Ces ouvrages, longtemps méprisés comme de simples curiosités obscènes, apparaissent aujourd’hui comme une littérature à part entière. Ils disent quelque chose de l’imaginaire français, du rapport complexe entre érotisme, pouvoir et liberté.

En franchissant les barrières de la censure, ils ont contribué, à leur manière, à ouvrir la voie à une conception plus libre du corps et de la sexualité, préfigurant les bouleversements moraux et sociaux de la Révolution française.

Références

• Thérèse philosophe (anonyme), vers 1748.

• Histoire de Dom Bougre, portier des Chartreux (anonyme), 1741.

• Denis Diderot, Les Bijoux indiscrets, 1748.

• Jean-Baptiste Crébillon fils, Les Égarements du cœur et de l’esprit, 1736.

• Robert Darnton, Édition et sédition. L’univers de la littérature clandestine au XVIIIe siècle en France, Gallimard, 1991.

• Jean-Marie Goulemot, Ces livres qu’on ne lit que d’une main. Lecture et lecteurs de livres pornographiques au XVIIIe siècle, Minerve, 1991.

• Patrick Wald Lasowski, La société libertine, Gallimard, 2008.