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Le paratexte en bande dessinée : quand l'objet livre dévoile ses coulisse.
L’étude de la bande dessinée a longtemps été délaissée par rapport à d’autres disciplines littéraires ou visuelles. Cependant, ce décalage n’est pas nécessairement un problème. Les critiques commencent à s’y intéresser, et les théories émergent peu à peu. Un angle intéressant pour enrichir cette discipline est de transposer certaines études littéraires à la bande dessinée. Parmi celles-ci, le concept de « paratexte », défini par Gérard Genette dans son ouvrage Seuils, offre des perspectives fascinantes pour la bande dessinée.
Le paratexte englobe tout ce qui entoure le texte principal d’un livre : le titre, le nom de l’auteur, les dédicaces, préfaces, postfaces, et autres éléments qui accompagnent et complètent le texte. Genette décrit le paratexte comme une frontière entre l’intérieur et l’extérieur du texte, à la fois partie du texte et distinct de lui. Cette définition pourrait s’appliquer parfaitement à la bande dessinée, car le paratexte éclaire non seulement le projet de l’auteur, mais aussi celui de l’éditeur. C’est une zone d’interaction, parfois de tension, entre ces deux acteurs, où la politique du livre se joue.
Le titre, par exemple, est souvent un terrain de négociation entre l’auteur et l’éditeur. Un cas révélateur dans le domaine de la bande dessinée est celui du titre Le Gorille a bonne mine, qui devait initialement s’appeler Le Gorille a mauvaise mine. L’éditeur a imposé une modification pour éviter une répétition déprimante après La Mauvaise tête dans la même collection. De la même manière, la première édition du Lotus bleu portait en sous-titre En Extrême-Orient, pour souligner la continuité avec les aventures précédentes de Tintin (Au pays des Soviets, Au Congo, En Amérique). Ces exemples montrent comment le paratexte, à travers le titre, peut refléter des enjeux éditoriaux importants.
D’autres titres de bande dessinée témoignent de l’influence des contraintes éditoriales, mais aussi des choix créatifs des auteurs. Par exemple, le deuxième tome de Gus devait initialement s’appeler Peggy, mais il est finalement paru sous le titre Beau bandit. La raison de ce changement reste floue, mais il est possible d’imaginer des repentirs de l’auteur ou des ajustements pour mieux correspondre à des attentes commerciales.
Dans la bande dessinée franco-belge classique, le surtitre est une pratique courante, souvent formulée comme « les aventures de… ». Ainsi, Les Aventures de Tintin ou Les Aventures de Spirou et Fantasio illustrent cette convention, qui sera reprise plus tard de manière parodique dans des œuvres comme Les Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec ou Les Formidables aventures de et sans Lapinot. Le surtitre donne une dimension épique ou héroïque au récit, renforçant le caractère récurrent des personnages et accentuant leur dimension publique. Certains surtitres, plus descriptifs, comme Fort Navajo, une aventure du Lieutenant Blueberry, introduisent à la fois le personnage principal et le cadre narratif de l’œuvre. Cette pratique est moins courante aujourd’hui, mais elle témoigne d’une époque où l’enjeu était d’attirer un large public.
Cependant, le paratexte dans la bande dessinée ne se limite pas aux titres et surtitres. Il inclut aussi d’autres éléments tels que la numérotation des planches, qui révèle des informations sur la structure du récit. Par exemple, lorsque la numérotation des planches diffère de celle des pages, cela peut indiquer des remontages opérés lors du passage d’une publication périodique à l’album. Un cas emblématique est celui de Gaston Lagaffe, où des numéros de gags manquent ou sont doublés par erreur, comme le gag 387 qui n’existe pas, ou les fameuses « planches bis ».
Le paratexte peut également inclure des signatures d’auteurs ou des dédicaces dessinées, éléments uniques à la bande dessinée. Un exemple fascinant est celui des « notes de bas de case » dans la série Isabelle, où ces notes, signées de manière sarcastique par « Joseph Boulier, service de promotion des albums », sont à la fois un clin d'œil humoristique et une référence à la logique marchande de l’éditeur. Ces éléments paratextuels montrent comment la bande dessinée joue avec ses propres codes et reflète des tensions sous-jacentes entre création artistique et impératifs commerciaux.
L’étude du paratexte en bande dessinée, bien que complexe, pourrait permettre de mieux comprendre les dynamiques entre auteurs et éditeurs, ainsi que l’évolution de la bande dessinée en tant qu’objet culturel. Des œuvres comme Plates-bandes ou Un objet culturel non identifié abordent ces questions de manière militante, en analysant les formats, les titres et les collections pour démontrer le déclin supposé de la bande dessinée européenne. Une étude approfondie du paratexte offrirait une perspective plus nuancée et pourrait éclairer certains débats actuels.
En conclusion, l’analyse du paratexte dans la bande dessinée, inspirée des travaux de Genette, permet de mettre en lumière des aspects souvent invisibles mais cruciaux de l’objet livre. En étudiant ces éléments paratextuels, on comprend mieux non seulement l’intention des auteurs, mais aussi l’influence des éditeurs et les stratégies commerciales qui sous-tendent la publication de bande dessinée.
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