Le scénario, entre technique, création et collaboration.

Le scénario, dans son sens technique, constitue un document de travail préalable à la mise en images. Que ce soit pour un film, une bande dessinée ou tout autre récit visuel, il décrit de manière précise le contenu du récit, y compris l’intrigue, les personnages, les dialogues et les scènes. Cependant, dans une acception plus courante, le terme « scénario » désigne souvent simplement l’histoire. Cette distinction est fondamentale pour comprendre les différentes facettes du processus créatif qui sous-tend l'écriture d'un scénario, qu'il soit destiné au cinéma, à la télévision ou à la bande dessinée.

L'écriture d'un scénario requiert bien plus qu'une simple succession de scènes. Elle mobilise diverses compétences : l’élaboration d’une intrigue, le développement d’arcs narratifs, la caractérisation des personnages, le rythme du récit et l’interaction avec les attentes du public. Cela signifie que le scénariste doit aussi savoir jouer avec les éléments de surprise, le suspense ou encore la construction d’un dialogue vivant. La transversalité du scénario s'étend ainsi à tous les supports audiovisuels. Les ouvrages spécialisés en écriture de films, séries ou bandes dessinées regorgent de conseils applicables à ces différents médias.

La liberté de création et le rôle de l’auteur complet

Cependant, tout scénario ne passe pas forcément par une phase d'écriture rigoureuse avant la mise en images. Certains auteurs préfèrent se lancer dans la création sans plan prédéfini, en laissant l'improvisation guider l'avancée du récit. Cette méthode est particulièrement visible dans les œuvres à caractère autobiographique ou les récits de voyage. Dans Les Ignorants d’Étienne Davodeau, par exemple, l’auteur s’est embarqué dans une aventure viticole sans savoir à l’avance ce que cette expérience lui apporterait, tant sur le plan humain que narratif.

Les « auteurs complets », ceux qui à la fois écrivent et dessinent leurs œuvres, jouissent d’une liberté totale dans leur processus créatif. Ils peuvent moduler simultanément la narration et l’aspect visuel, ajustant leurs idées narratives en fonction des contraintes ou opportunités graphiques qui se présentent. Benoît Peeters, scénariste des Cités obscures, exprimait cette fascination pour la liberté de création lorsqu’il comparait l’approche des auteurs complets à un « paradis perdu » pour ceux qui travaillent en collaboration. Pour ces derniers, chaque décision narrative se trouve inévitablement influencée par les impératifs graphiques.

Cette liberté est perceptible dans des récits comme ceux de Fred, célèbre pour ses improvisations à partir de simples idées de départ. Pour certains créateurs, l’improvisation n’est pas un obstacle, mais plutôt un moteur de création, permettant de s'affranchir des schémas classiques.

La collaboration scénariste-dessinateur

Quand le travail se fait en collaboration, comme c’est le cas dans la plupart des bandes dessinées, le scénario précède généralement l’exécution graphique. Cependant, cette dissociation entre l’écriture et le dessin n’est pas une règle absolue. Dans certaines collaborations, scénaristes et dessinateurs travaillent étroitement ensemble, nourrissant constamment le processus créatif par des échanges d’idées. Benoît Peeters et François Schuiten, par exemple, sont connus pour leurs longues séances de travail ensemble, faisant naître l’histoire par une dynamique dialogique.

Un exemple frappant de collaboration atypique est celui d’Alexandro Jodorowsky et Moebius pour L’Incal. Au lieu de fournir un script détaillé, Jodorowsky racontait oralement l’histoire, mimant les scènes, laissant ainsi Moebius créer les images à partir de cette performance orale. Une fois le dessin terminé, Jodorowsky ajustait ensuite les dialogues en fonction des visuels réalisés. Ce processus renverse la chronologie classique du scénario.

Stan Lee et Jack Kirby, figures emblématiques des comics américains, avaient également un mode de travail particulier. Kirby dessinait d’abord les pages en fonction des grandes lignes convenues avec Lee, qui ajoutait ensuite les dialogues après coup. Cette méthode reflète la grande liberté qu’accorde parfois le processus créatif, même dans des industries structurées comme celle des comics.

Le scénario en pratique

La forme que prend un scénario peut varier considérablement. Certains scénarios sont extrêmement détaillés, décrivant précisément chaque scène, tandis que d’autres laissent plus de liberté au dessinateur. Pierre Christin, scénariste renommé, évoque cette flexibilité dans son travail, adaptant le niveau de détail en fonction du dessinateur avec lequel il collabore. Pour des collaborateurs de longue date, peu d’indications sont nécessaires, tandis que des dessinateurs moins expérimentés peuvent recevoir des instructions beaucoup plus précises.

Alan Moore, célèbre pour ses scénarios extrêmement détaillés, illustre bien cette approche. Connu pour ses œuvres telles que Swamp Thing, Moore fournit des descriptions prolixes, croyant que cette surabondance d’informations offre au dessinateur une plus grande liberté de création.

La bande dessinée : un art transversal

Pour beaucoup de scénaristes, l’image est aussi importante que le texte dans la narration d’une bande dessinée. Benoît Peeters souligne que le scénario de bande dessinée n’est pas seulement une construction narrative, mais aussi une « machine à dessiner ». Cette idée reflète l’importance de l’image dans la construction du récit, la narration visuelle étant au cœur de la bande dessinée. Thierry Smolderen, quant à lui, affirme que la bande dessinée trouve tout son intérêt dans les enjeux visuels qu’elle parvient à activer.

Les scénaristes modernes cherchent ainsi à s'éloigner de la tyrannie de l'intrigue au profit d'une narration où l'image joue un rôle prépondérant, dépassant le simple support du texte. Cette évolution marque une rupture avec les approches traditionnelles de la bande dessinée, où l’image servait essentiellement la narration.

La professionnalisation du scénariste

Historiquement, le scénariste a longtemps été relégué au second plan dans le monde de la bande dessinée, souvent éclipsé par le dessinateur. Cette situation a commencé à changer dans les années 1960 grâce à des figures comme René Goscinny, qui ont milité pour une meilleure reconnaissance des scénaristes. Jean Van Hamme, quant à lui, a contribué à professionnaliser ce métier en démontrant l’importance commerciale des scénaristes.

Aujourd’hui, les scénaristes jouissent d’une plus grande reconnaissance, bien qu’ils continuent de souffrir d’un certain déficit de médiatisation. En effet, les expositions de bande dessinée se concentrent souvent sur l’aspect visuel de l’œuvre, reléguant les scénaristes au second plan. Malgré cela, de nombreux scénaristes professionnels, tels qu’Arleston, Dufaux ou Yann, occupent une place de choix dans le monde de la bande dessinée, contribuant à façonner cet art en constante évolution.

Conclusion

Le scénario, qu’il soit improvisé ou méticuleusement élaboré, constitue le cœur de toute création narrative. Sa fonction dépasse la simple description des scènes, influençant profondément la forme finale de l’œuvre. Qu'il s'agisse de films, de bandes dessinées ou de séries télévisées, l’écriture d’un scénario demeure un art complexe qui allie technique, créativité et collaboration. Les scénaristes, qu’ils soient dans l’ombre ou en pleine lumière, sont les architectes invisibles de l’imaginaire visuel que nous découvrons à travers les œuvres, ouvrant sans cesse de nouvelles voies pour réinventer le récit visuel.