À la croisée des chemins entre l’artisanat d’exception et la quête esthétique, la figure de Marius-Michel s’impose...
Les Commentaires de la Guerre Gallique : l’épopée d’un trésor dispersé et ressuscité par les Bibliophiles François.
L’épopée des Commentaires de la Guerre Gallique débute au lendemain de la bataille de Marignan, quand le roi François Ier, se souvenant d’un glorieux prédécesseur ayant lui aussi vaincu les Suisses, exprima le désir de lire le récit de cette ancienne campagne. Il s’agissait bien sûr de Jules César, et le roi ordonna qu’on lui traduise en bon français l’ouvrage immortel du général romain.
C’est à ce caprice royal que l’on doit les trois volumes qui nous occupent aujourd’hui. Ces manuscrits, ornés de magnifiques miniatures, ont traversé les siècles pour parvenir à un cercle restreint de bibliophiles d’élite, la Société des Bibliophiles François. Cette société, inspirée par un prince descendant de François Ier, décida de reproduire ces trois volumes, qui furent réimprimés à seulement 29 exemplaires pour ses membres.
Les manuscrits eux-mêmes sont des trésors d’art du XVIᵉ siècle. Le comte de Laborde, célèbre historien des arts de la Renaissance, leur a consacré plusieurs pages, mettant en avant la virtuosité des miniaturistes de cette époque. Ces artistes ont su capturer la grandeur des récits césariens, réhaussant le texte de miniatures qui allient les costumes romains réinterprétés à la mode de la Renaissance et ceux des premières années du XVIᵉ siècle, créant un pont esthétique entre deux époques.
Le destin de ces manuscrits fut cependant mouvementé. Ils furent dispersés, vraisemblablement à l’époque troublée de la Ligue, lorsque le trésor royal fut pillé. Jean Gosselin, garde de la bibliothèque royale, laissa dans un autre manuscrit une note évoquant les nombreux vols commis lors du transfert de la bibliothèque de Fontainebleau à Paris sous le règne de Charles IX. Parmi les suspects de ces vols figurait le président de Nully, qui aurait été impliqué dans la disparition de nombreux livres. Malgré les efforts d’enquête, de nombreux volumes disparurent à jamais, probablement emportés par les tourments politiques et religieux de l’époque.
Les trois volumes des Commentaires de la Guerre Gallique connurent alors des destins séparés. Le premier tome réapparut dans la bibliothèque de Christophe Justel, un érudit qui, lors de la révocation de l’édit de Nantes, s’exila en Angleterre. Ce volume passa ensuite dans la prestigieuse collection Harléienne avant d’intégrer les fonds du British Museum. Le deuxième volume, quant à lui, trouva refuge à la Bibliothèque Nationale, tandis que le troisième fut découvert dans des circonstances plus romanesques. Un Tourangeau le conserva quarante ans avant de l’offrir à un certain colonel Lacombe, qui le revendit finalement au duc d’Aumale. Ce dernier en fit l’un des joyaux de la bibliothèque de Chantilly.
Bien que ces volumes restent dispersés, la Société des Bibliophiles François réussit un exploit remarquable : les réunir temporairement le temps de leur réimpression en fac-similé. Cette réimpression, limitée à 31 exemplaires, permit de rendre hommage à cette œuvre exceptionnelle, tout en la préservant pour les générations futures. Le dialogue entre François Ier et César, qui constitue le cœur de l’ouvrage, fut reproduit avec un soin méticuleux, tandis que les miniatures de Godefroy le Hollandais, illustrant la traduction d’Albert Pighe, furent restituées avec une fidélité saisissante grâce aux techniques photographiques modernes, magnifiées par l’intervention d’artistes experts.
La beauté de l’ouvrage réside non seulement dans la qualité de l’impression, mais aussi dans la précision artistique des miniatures, qui transportent le lecteur dans l’univers fastueux de la Renaissance. Les scènes représentées, où se mêlent les influences antiques et les costumes italiens du XVIᵉ siècle, sont d’une rare puissance visuelle. Comme l’écrit Janin dans l’Almanach du bibliophile de 1898, cet ouvrage n’est pas simplement un livre, mais une véritable œuvre d’art, destinée à orner les plus prestigieuses bibliothèques.
Les trois exemplaires imprimés pour les collections publiques se trouvent désormais au British Museum, à la Bibliothèque Nationale et à Chantilly. Ils témoignent de la richesse culturelle de cette époque et du soin apporté par les Bibliophiles François à la préservation du patrimoine littéraire et artistique. Ces volumes, monuments de la Renaissance, continuent de fasciner les historiens, les bibliophiles et les amateurs d’art, tout en nous rappelant l’importance de la transmission du savoir à travers les siècles.
Ainsi, l’histoire chaotique des Commentaires de la Guerre Gallique, d’un trésor royal dispersé à un chef-d’œuvre réimprimé pour une élite, nous rappelle la fragilité des livres anciens et la nécessité de préserver ces témoins d’une autre époque. Grâce à l’engagement de passionnés et d’érudits, ce patrimoine inestimable continue d’exister, pour notre plus grand émerveillement.
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