À la croisée des chemins entre l’artisanat d’exception et la quête esthétique, la figure de Marius-Michel s’impose...
Les héros éternels de la bande dessinée : entre reprises controversées et évolutions nécessaires.
Parcourir les rayons de bandes dessinées dans une librairie en 2024, c'est comme ouvrir une fenêtre sur un passé glorieux : des héros indémodables trônent en bonne place, de Lucky Luke à Blake et Mortimer, en passant par Astérix et Corto Maltese. Même les « jeunes » séries comme Largo Winch s’inscrivent dans cette tendance nostalgique. Pourtant, ces figures mythiques semblent parfois figées dans le temps, prisonnières de leurs succès passés. Si cette récurrence attire certains lecteurs, elle en pousse d'autres à s’interroger : ces reprises à répétition sont-elles des hommages légitimes ou des tentatives commerciales épuisant des franchises à succès ?
Ce débat anime le monde de la bande dessinée, où la nostalgie se heurte à des attentes d’innovation. Mais cette tendance n’est pas propre au neuvième art : le cinéma (avec les multiples Star Wars et Indiana Jones) ou la musique (voir la récente sortie d’un titre inédit des Beatles) en sont aussi des témoins. Cependant, la bande dessinée se distingue par la controverse récurrente autour de ses reprises, souvent vues comme des œuvres sous perfusion.
La légitimité contestée des reprises
Un article du Monde souligne une opinion répandue : les nouvelles versions de séries classiques, même bien intentionnées, ne parviennent jamais à égaler le talent des créateurs originaux. En effet, comment ne pas comparer les derniers Astérix à l’œuvre fondatrice de Goscinny et Uderzo, ou le retour de Gaston Lagaffe à l’inégalable Franquin ? Ces figures mythiques, si intimement liées à leurs créateurs, peinent à se détacher de cette aura fondatrice. Ainsi, la reprise de Gaston par Dupuis a suscité un véritable tollé, avec un procès opposant la maison d'édition à la fille de Franquin, qui s’était fermement opposée au projet.
Face à ces critiques, les éditeurs avancent des arguments souvent inspirés du modèle américain. Pourquoi condamner ces héros emblématiques à l’oubli alors que les super-héros américains, eux, prospèrent grâce à la succession d’auteurs ? L’exemple de Spirou, qui a su se renouveler sous différentes plumes, est fréquemment cité pour justifier ces choix éditoriaux.
L’exemple de Spirou : une modernité mesurée
Parmi les séries classiques, Spirou incarne un modèle de renouveau réussi. Dès les années 1970, sous Fournier, le groom explore des thèmes contemporains comme l’écologie (L’Ankou) ou la géopolitique (Spirou à Moscou). Plus récemment, Emile Bravo, dans sa série L’espoir malgré tout, plonge Spirou dans les affres de la Seconde Guerre mondiale. Ce récit, empreint d’une gravité inédite, interroge la place du héros face aux horreurs de l’Histoire.
Cette volonté de refléter l’actualité est également visible dans La mort de Spirou, où le héros laisse la place à Seccotine, une femme, dans un contexte narratif plus audacieux. L’arrivée de Sophie Guerrive comme co-scénariste marque par ailleurs une première pour la série, illustrant un effort d’ouverture vers une diversité plus représentative.
Cependant, cette modernité reste encadrée par des impératifs commerciaux. Ainsi, même si Bravo évoque la Shoah avec subtilité, il contourne les sujets les plus délicats, évitant de montrer directement les camps d’extermination. De telles décisions révèlent une tension entre créativité et marketing, où l’innovation narrative est parfois sacrifiée sur l’autel de la rentabilité.
Les super-héros : entre engagement et superficialité
Les super-héros américains offrent un contrepoint intéressant aux séries franco-belges. Dès leurs origines, ces personnages sont imprégnés d’un engagement social et politique. Superman, créé par deux auteurs juifs, incarne l’intégration réussie dans une société américaine en mutation. De même, Captain America, dès 1941, se fait le symbole de la lutte contre le nazisme.
À partir des années 1970, les comics évoluent pour refléter la diversité de leur lectorat. Les X-Men, série-phare de Marvel, introduisent des héros issus de différentes cultures et continents, comme Storm (kenyane) ou Wolverine (canadien). Plus récemment, des personnages comme Kamala Khan, première héroïne musulmane de l’univers Marvel (Ms. Marvel), témoignent de cet effort de représentativité. Toutefois, cette quête d’inclusivité n’est pas exempte de critiques. Les personnages manquent parfois de profondeur, et la surenchère visuelle – muscles hypertrophiés, combats explosifs – peut donner un sentiment de répétition.
Astérix et la tentation de la nostalgie
Contrairement aux super-héros ou à Spirou, Astérix semble figé dans un modèle conservateur. Les nouveaux albums, bien qu’efficaces, s’appuient sur des formules éprouvées sans véritable prise de risque. L’ancrage contemporain se limite à des références légères, comme la critique de la pensée positive dans L’Iris blanc. Les allusions historiques audacieuses, comme celles du Grand fossé ou de La rose et le glaive, appartiennent à une époque révolue.
À force de répéter les recettes inventées par Goscinny, Astérix risque de devenir une œuvre purement nostalgique, incapable de séduire les nouvelles générations. Certains craignent même que la série ne sombre dans une forme de ringardise, à moins de lui offrir un souffle neuf. Une perspective que d’autres, plus attachés à l’héritage original, considèrent comme une trahison.
Reprendre ou réinventer : quel avenir pour nos héros ?
La question des reprises de bandes dessinées classiques illustre un dilemme plus large : comment préserver un patrimoine culturel tout en le rendant pertinent pour les générations futures ? Si des séries comme Spirou et les comics américains montrent qu’un équilibre est possible, d’autres, comme Astérix ou Gaston Lagaffe, peinent à s’adapter.
Le succès des reprises dépendra en grande partie de la liberté laissée aux nouveaux auteurs. Sans cette marge de créativité, ces héros risquent de devenir des témoins poussiéreux d’une époque révolue, au lieu d’être des figures vivantes et inspirantes pour demain.
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