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Les reliures à la fanfare, chef-d'œuvre de la bibliophilie sous Henri III.
Les reliures dites « à la fanfare » constituent un chapitre fascinant de l’histoire de la bibliophilie et de l’art du livre. Apparues au début des années 1570, ces reliures sont intimement liées au règne d’Henri III (1551-1589), un roi célèbre pour son amour des livres et de la culture. Le contexte dans lequel ces reliures ont émergé mérite d’être exploré en profondeur, tout comme leur technique de fabrication, leur évolution stylistique, et leur rareté qui en fait aujourd’hui des objets prisés des collectionneurs.
L'origine des reliures à la fanfare
L’avènement des reliures à la fanfare coïncide avec l’accession d’Henri III au trône de France, en 1574. Ce roi, bibliophile passionné, influença profondément le goût pour les arts de son époque. Il incita les grands relieurs de son temps à concevoir des reliures d’un style totalement inédit, marqué par une richesse décorative sans précédent. Les premiers exemples de ces reliures furent réalisés pour le roi et sa cour, et c’est ainsi qu’est né le décor dit « à la fanfare ».
Ces reliures sont reconnaissables à leurs dorures abondantes et complexes qui recouvrent la totalité des plats. La composition de ces décors est organisée en compartiments délimités par des filets parallèles. Chaque compartiment est orné de motifs végétaux, tels que des branches de feuillage, des volutes et des palmettes, tandis que le centre du plat est souvent occupé par un ovale ou un médaillon. Ce médaillon, selon les cas, est soit laissé vierge, soit orné des armes du propriétaire du livre. Autour de ce médaillon, des rubans rayonnent et structurent le reste du décor. Cette abondance de détails, propre aux reliures à la fanfare, en fait des pièces spectaculaires.
Une ornementation dense et complexe
Les reliures à la fanfare se distinguent par leur caractère luxueux et leur complexité technique. Il faut souligner que leur réalisation demandait un savoir-faire exceptionnel, et qu’elles n’étaient produites que par les ateliers les plus prestigieux du XVIe siècle. Chaque atelier utilisait ses propres fers à dorer, ce qui permet aujourd’hui d’identifier leurs origines, car ces reliures ne sont que très rarement signées. Le travail minutieux du relieur consistait à appliquer, avec une grande précision, ces outils métalliques pour graver et dorer les décors sur le cuir.
Il convient de ne pas confondre les reliures à la fanfare avec d’autres types de reliures d’époque, telles que celles « à semis » ou « à éventail », qui obéissent à des règles décoratives différentes. Les reliures à la fanfare sont avant tout des œuvres d’art, réservées aux ouvrages de luxe et aux grands formats, telles que les in-folio ou les in-4. Elles ont principalement servi à orner des livres de grand prestige, souvent reliés en maroquin, un cuir particulièrement apprécié pour sa souplesse et sa durabilité.
L'évolution stylistique des reliures à la fanfare
Si le terme « fanfare » n’est apparu qu’au XIXe siècle, il désigne un style déjà en vogue à la fin du XVIe siècle. Ce terme doit son origine à un exemplaire réalisé par le relieur Thouvenin pour Charles Nodier, écrivain et bibliophile du XIXe siècle, qui pastichait des compositions du XVIe siècle. Ces reliures séduisent encore aujourd’hui par leur esthétique élaborée et leur rareté, ce qui en fait des objets recherchés par les collectionneurs.
Les premières reliures à la fanfare présentent des décors particulièrement denses et chargés, mais avec le temps, certains exemplaires adoptent un style plus dépouillé. C’est le cas des reliures à compartiments vides, qui renvoient à une esthétique plus sobre et mettent en valeur le savoir-faire du doreur sans surcharger l’espace. Ces reliures dites « primitives », apparues vers 1560, marquent une rupture par rapport aux fanfares plus ornées, avec une réduction délibérée des motifs.
Les reliures à la fanfare et Claude de Laubespine
Un exemple notable de reliures à la fanfare primitives se retrouve dans plusieurs ouvrages appartenant à Claude de Laubespine, secrétaire d'État sous Charles IX. Parmi ces ouvrages figurent des éditions prestigieuses telles que Le Pétrarque (1475) et Hypnerotomachia Poliphili (1499), deux volumes in-folio reliés en maroquin poudré d’or. Ces reliures illustrent le raffinement et la perfection technique atteints par les relieurs de l’époque, et sont aujourd’hui des pièces exceptionnelles. Selon l’étude de Conihout et Ract-Madoux dans le Bulletin du bibliophile (2004), ces reliures datent d’avant 1570, l’année de la mort de Claude de Laubespine.
Les reliures royales et les confréries de pénitents
Avec l'avènement d'Henri III, les reliures à la fanfare connurent un regain d’intérêt, en particulier au sein des confréries de pénitents fondées par le roi en 1583, après la mort de Marie de Clèves. Ces confréries, à caractère religieux, utilisaient des reliures ornées de symboles spirituels. Beaucoup de ces ouvrages, bien que présentant les armes royales sur le dos, étaient destinés non au roi lui-même, mais à des membres de son entourage choisis pour faire partie de ces confraternités.
Les décors de ces reliures à la fanfare, bien que toujours spectaculaires, présentent certaines variations en fonction des ateliers qui les ont réalisées. Les fers utilisés, les détails techniques comme les tranchefiles, ainsi que l’agencement des motifs varient d’un volume à l’autre. Parmi ces reliures, certaines comportaient les armes royales également sur le plat inférieur, et il est alors admis qu’elles appartenaient au roi lui-même, comme le souligne Fabienne Le Bars dans son essai sur les reliures d’Henri III (Henri III mécène, 2006).
Des reliures marquant la transition vers un renouveau
Enfin, il convient de mentionner deux reliures remarquables qui annoncent le renouveau du décor à la fanfare. La première, datée de 1580, est un manuscrit relié en maroquin brun, présentant un décor complexe et accompagnant un ouvrage dédié à J. Héroard, médecin du roi. La seconde, datée de 1581, contient des traductions des œuvres de Sénèque, dédiées au duc Anne de Joyeuse, favori d’Henri III. Ces deux reliures, bien que précoces, semblent marquer la transition stylistique vers un renouveau du décor à la fanfare, qui perdurera jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.
En somme, les reliures à la fanfare représentent un aboutissement technique et artistique dans l’histoire de la reliure. Leur complexité, leur beauté et leur rareté en font des objets d’un immense intérêt pour les historiens du livre et les collectionneurs. Leur étude continue d’éclairer les pratiques des ateliers de reliure du XVIe siècle, révélant les goûts d'une époque où le livre était un trésor en soi.
Histoire de Barlaam et Josaphat, Paris, G. Chaudière, 1578
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