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Les Tuniques bleues, une critique acerbe et humoristique des conflits armés.
Les « Tuniques bleues », dont les premières aventures ont été publiées le 29 août 1968 dans le Journal de Spirou, incarnent l'une des sagas les plus emblématiques de la bande dessinée franco-belge. Créée par le scénariste Raoul Cauvin et le dessinateur Louis Salvérius, cette série plonge le lecteur dans le contexte historique de la guerre de Sécession américaine, tout en insufflant une bonne dose d'humour et de critique sociale.
Après la disparition prématurée de Louis Salvérius en 1972, c’est Willy Lambil qui reprit la responsabilité des dessins, assurant ainsi la continuité graphique de la série. Avec Raoul Cauvin, ils formèrent un duo iconique pendant près de cinq décennies, avant que le décès de Cauvin en 2021 ne marque la fin de leur collaboration, et un tournant majeur dans l’histoire des Tuniques bleues.
Une guerre dépeinte sous l'angle de la satire
À première vue, Les Tuniques bleues pourraient être perçues comme une simple bande dessinée d’aventures humoristiques, mettant en scène les péripéties du caporal Blutch, cynique et désabusé, et du sergent Cornelius Chesterfield, patriote fervent et naïf. Cependant, au fil des albums, la série s’est imposée comme une critique acerbe des conflits armés, et plus particulièrement de la guerre de Sécession.
Blutch, toujours prompt à éviter les batailles, incarne un anti-héros qui dénonce, par son attitude, l’absurdité de la guerre et le sacrifice inutile des soldats. Chesterfield, quant à lui, représente le militarisme aveugle, mais aussi l’attachement aux valeurs traditionnelles. Ce duo, oscillant entre amour et haine, symbolise deux visions opposées du conflit.
Loin de glorifier les batailles, la série offre une peinture satirique des événements historiques, mettant en lumière les faiblesses humaines et les contradictions inhérentes à toute guerre. Grâce à cet équilibre subtil entre aventure, humour et réflexion, Les Tuniques bleues se démarquent dans le paysage de la bande dessinée, tout en captivant un public intergénérationnel.
Willy Lambil : l'âme graphique des Tuniques bleues
Avec plus de 55 ans de carrière dans la bande dessinée, Willy Lambil est sans conteste l’une des figures majeures du 9e art. Bien qu’il soit connu pour avoir pris en main la destinée des Tuniques bleues après le décès de Salvérius, Lambil a su imposer sa propre patte artistique tout en restant fidèle à l’esprit de la série. Ses dessins, réalisés à l’encre de Chine, se distinguent par leur précision et leur souci du détail, notamment lorsqu’il s’agit de représenter les uniformes, les armes et les décors de l’époque de la guerre de Sécession.
À 87 ans, Willy Lambil continue de dessiner chaque jour, prouvant ainsi que la bande dessinée est pour lui une véritable « seconde nature ».
Pour chaque épisode, il recevait le scénario de Raoul Cauvin par la poste, puis se lancait dans le processus de création : crayonné, encrage, et enfin finalisation de la planche. Chaque épisode des Tuniques bleues nécessitait environ un an de travail, un effort colossal qui témoigne de la passion et de l’assiduité du dessinateur.
Cependant, leur collaboration ne fut pas exempte de tensions. À plusieurs reprises, Lambil a évoqué les moments de saturation et de désaccord avec Cauvin, soulignant que leur relation professionnelle était parfois difficile. Néanmoins, ils sont restés unis par leur amour commun pour la série, créant ainsi une œuvre inégalée dans le monde de la bande dessinée.
Un avenir sans Cauvin, mais avec Munuera et BeKa
Le décès de Raoul Cauvin en 2021 a marqué la fin d’une ère pour les Tuniques bleues. Cependant, la série ne s’est pas arrêtée pour autant. Pour assurer la continuité des aventures de Blutch et Chesterfield, la maison d’édition a choisi d’introduire une nouvelle équipe créative, composée de Jose Luis Munuera, célèbre pour son travail sur Spirou et Fantasio, ainsi que du duo de scénaristes BeKa (Bertrand Escaich et Caroline Roque).
Ces nouveaux auteurs ont relevé le défi avec brio en s’inspirant des codes et de l’humour qui ont fait le succès des Tuniques bleues, tout en y apportant une touche moderne. Munuera, dont le style de dessin est dynamique et expressif, a su respecter l’univers visuel de la série, tout en le réinterprétant à sa manière. Quant à BeKa, ils ont su intégrer des thématiques contemporaines à leurs scénarios, tout en préservant l’essence satirique et historique de l’œuvre originale.
Le premier album de cette nouvelle équipe, intitulé L’Envoyé spécial, fut publié en octobre 2020, un événement particulièrement attendu par les fans. Cet épisode raconte le voyage de William Howard Russell, journaliste anglais, à travers l’Amérique en pleine guerre de Sécession, et aborde des questions toujours d’actualité, telles que l'influence de la presse et la manipulation de l'information par les pouvoirs politiques.
L’héritage des Tuniques bleues dans le monde de la bande dessinée
Avec plus de 21,5 millions d'albums vendus et une traduction dans plus de 15 langues, Les Tuniques bleues ont marqué de leur empreinte l’histoire de la bande dessinée. Cette série, qui a débuté comme une simple bande dessinée d’aventure humoristique, s’est progressivement transformée en une fresque historique critique, tout en conservant un style accessible et divertissant.
L’une des forces des Tuniques bleues réside dans sa capacité à évoluer avec le temps, sans pour autant trahir ses racines. Les aventures de Blutch et Chesterfield ont su séduire plusieurs générations de lecteurs, et l’arrivée de nouveaux auteurs laisse présager une longévité certaine pour cette série culte.
Les Tuniques bleues sont bien plus qu’une simple bande dessinée de guerre. Elles représentent un regard satirique et profond sur l’histoire, tout en offrant une réflexion sur la condition humaine en temps de conflit. Grâce à la plume de Raoul Cauvin et au talent artistique de Willy Lambil, cette série a su se hisser au rang de classique du 9e art. Avec l’arrivée de Munuera et BeKa, les lecteurs peuvent être assurés que les aventures de Blutch et Chesterfield continueront à captiver et à faire réfléchir, tout en s’inscrivant dans une tradition de bande dessinée de qualité, à la fois divertissante et engagée.
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