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L’évolution de la bande dessinée algérienne : satire et résistance.
La bande dessinée algérienne, fruit d'un long cheminement historique et culturel, s'est imposée comme un moyen d'expression artistique et politique au fil des décennies. Son émergence est intimement liée à l'histoire mouvementée du pays, notamment à la période post-indépendance, où elle a joué un rôle crucial dans la diffusion d'idées et la mise en lumière des réalités sociales. Cet article explore les grandes étapes de cette évolution, les figures emblématiques qui ont marqué ce domaine et les défis auxquels la bande dessinée algérienne a été confrontée.
Les premiers pas : Ismael Aït Djaffar et l’émergence de la caricature
Avant l’indépendance, les premières formes de caricature en Algérie sont attribuées à Ismael Aït Djaffar, auteur des Complaintes des mendiants de la Casbah. Actif dans la presse coloniale des années cinquante, il a posé les bases d’un style graphique critique et satirique. Toutefois, c’est après 1962 que la bande dessinée algérienne prend son essor, trouvant sa place dans un paysage médiatique marqué par la dualité des langues, arabe et français.
Haroun et la naissance d'une tradition
Parmi les figures majeures de cette époque, Haroun se distingue comme le pionnier de la presse illustrée. Dès le 26 octobre 1962, il commence sa carrière au journal Le Peuple (devenu Echaâb). Il signe des illustrations marquantes pour des textes historiques tels que Le baptême des maquis et Les frères Barberousse. Ce travail préfigure l’essor de la bande dessinée dans des publications comme Algérie actualité, où apparaît en 1968 la célèbre série Moustache et les frères Belgacem de Slim. Mimoun, personnage central, deviendra le célèbre Bouzid, héros emblématique de la BD algérienne.
M’quidech : le premier illustré algérien
Février 1969 marque une étape essentielle avec la création de M’quidech, première revue de bandes dessinées algérienne. Fondée par Mohamed Aram, Ahmed Haroun, Slim et d'autres, cette publication se veut une alternative aux illustrés occidentaux populaires tels que Blek le Roc ou Akim. L’objectif est clair : mettre en avant des héros algériens, des décors locaux et des thèmes inspirés de l’histoire nationale.
Parmi les créations marquantes, on retrouve M’quidech, un djinn espiègle, et Richa, une héroïne hors normes. Slim, avec sa série Bouzid Ya Bouzid, résume 30 ans d’histoire algérienne à travers un humour cinglant. La satire sociale y est omniprésente, comme en témoigne le personnage de Sid Sadik, représentant d’une élite corrompue et hypocrite.
Malheureusement, M’quidech disparaît en 1972 après une trentaine de numéros, faute de soutien institutionnel durable. D’autres publications éphémères, telles que M’cid ou Tarik, suivent, sans parvenir à pérenniser la production nationale de bandes dessinées.
Les années 80 : l’âge d’or de la bande dessinée algérienne
Malgré cette parenthèse difficile, les années 80 marquent une renaissance. Le premier festival de la BD et de la caricature, organisé à Bordj El Kiffan en 1986, met en lumière de jeunes talents tels que Benattou Masmoudi et Redouane Assari. L’ENAL (Entreprise nationale du livre), soutenue par l’Etat, finance de nombreux albums, dont La route du sel de Malek et L’émir Abdelkader de Masmoudi. Ces œuvres exaltent le patriotisme et la résistance tout en abordant les défis sociétaux.
Les années 90 : une décennie noire pour la BD
La décennie 90 plonge l’Algérie dans la violence avec la montée du terrorisme islamiste. Des publications comme El Manchar, pourtant lieu d’émergence de talents tels que Dilem et Hic, ne survivent pas à cette période. La répression s’abat sur les caricaturistes, accusés de blasphème ou de critiques envers le pouvoir. Plusieurs sont assassinés, comme Brahim Guerroui, ou contraints à l’exil, à l’image de Slim et Gyps. Ce dernier publie en France des albums marquants comme Fis end love et L’Algérie c’est comme ça.
La diaspora algérienne et la BD : une contribution essentielle
En France, des auteurs algériens comme Mohamed Aouamri (Mortepierre), Jacques Ferrandez (Carnets d’Orient) et Farid Boudjellal (Petit Polio) participent au rayonnement de la BD algérienne. Leurs œuvres mêlent souvent mémoire et identité, explorant les liens complexes entre les deux rives de la Méditerranée.
Entre satire et résistance : un art toujours vivant
Malgré les entraves, la bande dessinée algérienne reste un moyen puissant de critique sociale et politique. Les caricaturistes comme Ali Dilem continuent de braver la censure, illustrant une vitalité artistique indéniable. L’héritage de publications comme M’quidech et le courage des artistes face aux adversités témoignent de la richesse et de la résilience de cet art.
La bande dessinée algérienne, tout en étant marquée par les vicissitudes de l’histoire, continue de résonner comme une voix forte et authentique dans le panorama culturel mondial. Elle incarne l’espoir d’un dialogue entre mémoire et modernité, entre satire et résistance.
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