L’hôtel Lambert : joyau architectural du XVIIᵉ siècle et témoin de l’histoire à travers la Bibliotheca Lambertina.

L’hôtel Lambert, véritable joyau de l’architecture parisienne du XVIIe siècle, est bien plus qu’un simple bâtiment d’apparat. Situé à l’extrémité orientale de l’île Saint-Louis, il trône majestueusement à l’angle de la rue Saint-Louis-en-l’Île et du quai d’Anjou, conférant à cet édifice un cadre exceptionnel. Ce lieu emblématique, classé Monument historique depuis 1862, fut érigé sous la direction de Louis Le Vau, l’architecte à qui l’on doit également le prestigieux château de Vaux-le-Vicomte.

Construit à l’initiative de Jean-Baptiste Lambert, premier commis de Bullion et surintendant des Finances, sur un terrain acquis en 1639, l’hôtel témoigne du faste et de la rigueur esthétique de l’époque. À la mort prématurée de Jean-Baptiste Lambert en 1644, son frère Nicolas Lambert, surnommé "Lambert le riche", hérita de la demeure et poursuivit son aménagement. Issu d’une lignée de magistrats influents, Nicolas devint maître des requêtes et président à la Chambre des Comptes. Il se distingue par son goût prononcé pour les arts et les lettres, une passion qu’il a transmise à ses descendants et qui se reflète dans l’élégance de l’édifice.

Une architecture somptueuse

Dès l’entrée principale, située rue Saint-Louis-en-l’Île, le visiteur est immédiatement plongé dans le raffinement des intérieurs du XVIIe siècle. Le rez-de-chaussée abritait autrefois les cuisines, offices, et autres espaces utilitaires. Les écuries, pouvant accueillir jusqu’à seize chevaux, reflètent la richesse et l’importance des propriétaires de l’époque.

Le premier étage de l’hôtel était réservé aux espaces de vie privés, avec une disposition ingénieuse des deux ailes s’ouvrant sur un jardin. Dans l’aile longeant le quai d’Anjou, une bibliothèque ornée de grandes fenêtres s’étendait le long d’une galerie peinte en grisaille, offrant un cadre propice à la réflexion intellectuelle. Dans la seconde aile, le « Cabinet de l’Amour », chef-d’œuvre décoratif, contait l’histoire de l’Amour à travers des toiles d’Eustache Le Sueur, un peintre de renom de l’époque. Le plafond et les encadrements des portes ajoutaient une dimension mythologique à cette pièce emblématique.

Des décors mythologiques et des collections d’exception

L’hôtel Lambert était également un lieu de réception d’apparat, notamment au deuxième étage, où la « Galerie d’Hercule », ornée par Charles Le Brun, étalait sa grandeur. Ce même étage abritait le « Cabinet des Muses », autre chef-d’œuvre de Le Sueur, illustrant les Neuf Muses et leurs attributs. Chaque espace de l’hôtel témoignait de la volonté des Lambert de s’entourer des plus grands artistes et de faire de leur demeure un écrin pour la culture et l’art.

La bibliothèque, véritable trésor intellectuel, fut constamment enrichie par Nicolas Lambert, qui en augmenta considérablement le fonds. À la mort de ce dernier en 1729, sa collection de livres fut mise en vente aux enchères l’année suivante, sous le nom de Bibliotheca Lambertina. Ce catalogue, publié à Paris en 1730 par Gabriel Martin, est une référence pour les amateurs de bibliophilie. Parmi les 3 169 lots proposés, des ouvrages exceptionnels issus des grands imprimeurs des XVIe et XVIIe siècles, tels que Robert Estienne, Simon de Colines et les célèbres Elzévirs, attiraient les plus fins collectionneurs. La présence notable d’incunables et d’œuvres "ad usum Delphini" soulignait l’érudition des Lambert et leur attachement aux œuvres d’érudition et de poésie.

Des changements de propriétaires et d’usage

Après près d’un siècle dans la famille Lambert, l’hôtel fut acquis en 1732 par des fermiers généraux, marquant ainsi le début de nouvelles phases dans son histoire. En 1745, Marin de La Haye en devint le propriétaire, et sa collection de livres fit également l’objet d’une vente posthume en 1754, sous le titre de Catalogue des livres et estampes de feu M. de La Haye. Cette vente proposait une large collection de livres du XVIIe et du XVIIIe siècle, dont le plus ancien ouvrage, daté de 1492, illustrait l’étendue et la diversité des intérêts littéraires de l’époque.

Sous la Révolution française, malgré les nombreuses destructions ailleurs, l’île Saint-Louis et l’hôtel Lambert échappèrent à ce sort tragique. Devenu propriété nationale en 1792, l’hôtel resta inhabité pendant près de deux décennies, avant d’être acquis par le comte de Montalivet en 1809. Sous cette nouvelle propriété, une partie des boiseries et des panneaux décoratifs furent transportés dans le château familial de La Grange, et l’hôtel perdit une partie de son lustre d’antan.

L’hôtel Lambert, un symbole de résilience

L’hôtel connut ensuite une période de déclin au XIXe siècle, lorsqu’il fut partiellement loué à une entreprise de lits militaires. Il fallut attendre l’acquisition de l’hôtel par le prince Adam Czartoryski en 1842 pour qu’il retrouve sa splendeur passée. L’hôtel devint alors un symbole de la Pologne en exil, accueillant les grandes figures intellectuelles et politiques du pays. Le baron de Rothschild en fit l’acquisition en 1975, et l’hôtel resta un symbole de prestige et d’histoire à Paris.

Aujourd’hui, l’hôtel Lambert demeure un vestige précieux du Paris du Grand Siècle. En 2007, il fut vendu au frère de l’émir du Qatar, pour une somme de 80 millions d’euros. Malgré les transformations et les vicissitudes de l’histoire, l’hôtel Lambert continue d’incarner un patrimoine architectural et artistique d’une richesse exceptionnelle.

Conclusion

L’hôtel Lambert, à travers ses nombreux propriétaires et ses riches collections, témoigne d’une continuité de l’excellence artistique et intellectuelle. Lieu de fastes et de recueils intellectuels, il a su résister aux affres du temps tout en conservant l’empreinte indélébile des grandes familles qui l’ont façonné.