Louis-Léon-Félicité de Brancas : le duc bibliophile et l’héritage des Lumières.

L’histoire de la maison de Brancas, noble famille provençale d’origine napolitaine, s’inscrit dans le paysage historique français depuis le XIVᵉ siècle. Cette lignée prestigieuse, partagée en deux branches à la fin du XVIIIᵉ siècle – la branche aînée, dite de Céreste et Forcalquier, et la branche cadette, dite de Villars et Lauraguais –, a marqué les sciences, les lettres et les arts par ses personnages illustres.

Parmi les figures les plus fascinantes, Louis-Léon-Félicité de Brancas, comte de Lauraguais, se distingue par l’esprit novateur et rebelle qui le caractérisa tout au long de sa vie. Né à Paris le 3 juillet 1733 dans la noblesse la plus haute, son baptême attira l’attention des plus grands noms de la cour. En effet, parmi ses parrains et marraines figuraient Léon de Madaillan de Lesparre, comte de Lassay, et Marie-Angélique Frémyn de Moras, duchesse de Villars et grande influence dans sa jeunesse, qui l’éleva à Versailles après la mort précoce de sa mère.

Déjà dans sa jeunesse, le comte de Lauraguais, fin lettré et aristocrate épris de connaissances, se fit connaître pour son goût des sciences et des arts. En 1758, il fut reçu à l'Académie des sciences et marqua l'époque en devenant un des pionniers de la défense de l'inoculation, méthode novatrice pour combattre la variole, ou « petite vérole ». Son engagement allait bien au-delà des idées, puisqu’il œuvra activement pour améliorer les conditions théâtrales en finançant la suppression des banquettes sur la scène de la Comédie française. Ce changement, réclamé en vain par Voltaire, fut enfin obtenu grâce à Lauraguais, qui n’hésita pas à investir 60 000 livres pour cette cause.

Sa passion pour l’expérimentation scientifique le mena à découvrir un procédé de vitrification qu’il appliqua dans une fabrique de porcelaine installée dans son hôtel de Lassay, une demeure prestigieuse, aujourd’hui résidence du président de l'Assemblée nationale. Lauraguais s’illustra également dans le domaine hippique, introduisant les courses de chevaux à la française, inspiré par l’Angleterre qu’il admirait particulièrement. La première course officielle, organisée en 1766 dans la plaine des Sablons, reste une étape marquante de l’histoire des courses en France.

Son esprit frondeur et ses extravagances coûtèrent cher au comte de Lauraguais. Ruiné, il dut se séparer de son hôtel en 1768, puis de sa précieuse bibliothèque en 1770. La vente de ses ouvrages précieux, beaucoup d’entre eux ornés de ses armes, marqua un tournant dans sa vie. Parmi les joyaux de cette collection, citons des ouvrages de la plus haute qualité bibliophilique, comme un exemplaire de la Biblia Sacra Latina Vulgatae editionis de 1462 ou encore les Opera de Platon publiées à Paris en 1578 par Henri Estienne. Le catalogue de cette vente, publié par Guillaume De Bure, recense des trésors d’histoire, de théologie et de sciences, témoignant de la richesse intellectuelle de la collection de Lauraguais.

En 1773, à la mort de son père, le comte de Lauraguais hérita du titre de duc de Brancas, consolidant sa position dans la noblesse française. Mais les défis de la Révolution française bouleversèrent sa vie. Tandis que son épouse fut exécutée pour conspiration contre la République, Lauraguais, quant à lui, échappa de peu aux proscriptions révolutionnaires, passant une période à la Conciergerie où il fut oublié jusqu’à la chute de Robespierre. Il se retira alors dans sa propriété de Manicamp, se consacrant à l’élevage et à diverses expérimentations scientifiques, malgré les revers financiers et l’exil imposé par le roi Louis XVI en 1778, pour avoir contesté le retour de ses terres au domaine royal.

Le destin du duc de Brancas connut un dernier honneur en 1814, lorsqu’il fut nommé pair de France lors de la Restauration. Cependant, en raison de son état de santé affaibli, il ne put prendre part aux délibérations et transféra son titre à son neveu. Décédé en 1824 à Paris, il repose au cimetière du Père-Lachaise, marquant la fin d’une vie aussi intense qu’intrépide, marquée par le goût du savoir, des arts et de l’opposition.

La vie de Louis-Léon-Félicité de Brancas, entre science, littérature, excentricité et noblesse, offre un tableau captivant de l’esprit des Lumières et de la noblesse d’Ancien Régime. Sa contribution, bien que marquée par des épisodes de ruine et de désaveux, demeure un témoignage précieux des engagements intellectuels et sociaux d’une aristocratie qui, dans l’ombre des bouleversements historiques, a parfois su marquer son époque.