Mathieu-Robert Gouttard, un bibliophile d'exception au XVIIIe siècle.

Le monde des bibliophiles du XVIIIe siècle est peuplé de personnalités marquantes, dont certaines sont restées dans l'ombre. Parmi elles, Mathieu-Robert Gouttard (1726-1780) figure comme un collectionneur d'une rare exigence et passion pour les livres classiques, notamment en grec et en latin. Bien que peu de détails sur sa vie personnelle soient disponibles, Gouttard est surtout connu pour sa bibliothèque exceptionnelle, composée de volumes d'une rareté et d'une qualité inégalées. Cet article se propose d'explorer la vie et l'œuvre de ce personnage à travers ses choix de collection et les témoignages qui subsistent, tout en soulignant l'importance des livres anciens dans sa démarche.

Une passion pour les langues anciennes

D'après Louis Popon de Maucune, l'auteur du Précis sur la vie et la bibliothèque de feu M. Gouttard (1780), Gouttard était un homme de lettres profondément marqué par l'amour des langues grecque et latine. Cette passion pour les langues anciennes ne se limitait pas à une simple érudition : elle guidait ses choix de vie et nourrissait son quotidien. Les textes d'auteurs ayant marqué Athènes et Rome constituaient le cœur de son existence intellectuelle, à tel point qu'il consacrait une partie de son temps à l'étude des éditions d'Horace et de Virgile pour en produire une version encore plus précise.

Ce goût pour les textes classiques est caractéristique d'un esprit éclairé du XVIIIe siècle, soucieux de la qualité du savoir transmis. Contrairement à de nombreux bibliophiles de son temps, Gouttard n'était pas un simple accumulant de volumes. Il rejetait catégoriquement les ouvrages inutiles ou sans intérêt. Selon Popon de Maucune, Gouttard s'efforçait de rassembler les meilleures éditions disponibles et s'assurait que chaque exemplaire était en parfait état, relié avec soin, souvent par les mains expertes du célèbre relieur Derome.

La collection Gouttard : une bibliothèque de choix

La bibliothèque de Gouttard, bien que modeste en nombre de volumes, n'en était pas moins prestigieuse. Elle regroupait les meilleures éditions d'auteurs classiques, des ouvrages imprimés sur grand papier, et soigneusement conservés. Parmi les trésors de sa collection figurent des œuvres aussi illustres que celles de Platon, Cicéron, et Virgile, souvent dans des éditions rares ou de grande qualité.

Un exemple frappant de la rareté des ouvrages collectés par Gouttard est la première édition de Virgile imprimée à Venise par Vindelinus de Spira en 1470. Cet ouvrage, composé de 161 feuillets, faisait partie des joyaux de sa bibliothèque. Sa recherche de l'excellence le conduisit à ajouter des volumes manquants à ses collections, comme ce fut le cas pour une édition de L’Histoire de l’Amérique de Mattheus Merian, qu’il compléta en ajoutant des cartes et des figures absentes.

Les bibliophiles contemporains de Gouttard, et même ceux qui lui succédèrent, reconnurent la valeur inestimable de sa collection. Mérard de Saint-Just, un célèbre littérateur, nota dans son propre exemplaire du catalogue de la vente de la bibliothèque de Gouttard : « doit faire époque dans l’histoire de la Bibliographie ». Il soulignait que les livres avaient atteint des prix exorbitants, reflet de la qualité exceptionnelle des ouvrages rassemblés par Gouttard.

Une vie de bibliophile passionné

Mathieu-Robert Gouttard ne se contentait pas de collectionner des livres : il participait activement aux ventes et suivait de près les enchères des ouvrages qu'il avait commissionnés. Le baron Jérôme Pichon rapporte avec humour une anecdote révélatrice de l'engagement émotionnel de Gouttard dans ses acquisitions. Lorsqu'un exemplaire rare d’un ouvrage du comte de Caylus fut mis en vente, Gouttard, malade ce jour-là, délégua l’achat à son commissionnaire. Le lendemain, à la réception du livre, Gouttard, en chemise, sauta hors de son lit et embrassa son représentant, tellement il était heureux de l'acquisition.

Cet épisode illustre à la fois la passion débordante de Gouttard pour les livres et la valeur sentimentale qu'ils représentaient pour lui. Contrairement à certains bibliophiles de son époque, qui achetaient des livres pour leur seule rareté ou pour l’apparat, Gouttard attachait une importance capitale à la qualité intellectuelle et matérielle des œuvres.

Un héritage durable

À la mort de Gouttard en 1780, sa bibliothèque fut vendue lors de 17 vacations publiques, une vente qui attira les plus grands bibliophiles de l’époque. Parmi les acheteurs figurent des personnalités aussi illustres que le comte d’Artois, le président Lepeletier de Saint-Fargeau, ou encore le procureur Lolliée. Ces acquisitions témoignaient du prestige des ouvrages de la collection Gouttard, et leur dispersion marqua un moment important dans l’histoire des ventes aux enchères de bibliothèques.

Un rare exemplaire du catalogue de cette vente, annoté par Mérard de Saint-Just, souligne l’importance historique de cet événement dans le monde des collectionneurs. La vente des livres de Gouttard fit date dans le milieu des bibliophiles, non seulement pour la qualité des ouvrages, mais aussi pour les sommes extraordinaires atteintes lors des enchères.

Les livres anciens : un trésor intemporel

L'histoire de Mathieu-Robert Gouttard nous rappelle à quel point les livres anciens peuvent être bien plus que de simples objets. Ils représentent un lien avec le passé, une source de savoir, et parfois, un témoignage de l'excellence d'une époque. Gouttard, par son exigence et son discernement, a contribué à préserver des œuvres majeures de la littérature classique, dont certaines continuent d’être admirées et étudiées aujourd’hui. Sa bibliothèque, bien que dispersée, reste un exemple emblématique de ce que peut être une collection de livres rares : un trésor à la fois intellectuel et matériel, où chaque ouvrage raconte une histoire.

La passion de Gouttard pour les livres anciens, son souci de la perfection, et son attachement aux œuvres classiques illustrent un moment clé de l'histoire de la bibliophilie. À travers les siècles, ses choix continuent d’inspirer les amateurs de livres rares, rappelant que la valeur d’un livre ne réside pas seulement dans son ancienneté, mais aussi dans sa capacité à transmettre la connaissance et l’émerveillement aux générations futures.