Paul Nougé et le surréalisme belge, entre détournement et effacement.

En 1924, l'année de publication du célèbre Manifeste du surréalisme par André Breton, un événement littéraire d'importance se déroule à Bruxelles. Au 226 de la rue de Mérode, à Saint-Gilles, Paul Nougé, écrivain belge, s'active avec ses complices Camille Goemans et Marcel Lecomte à rédiger des tracts sur papiers colorés. Ces documents, produits en tirage très limité, sont aujourd'hui connus sous le nom de Correspondance. Leur style concis et allusif avait pour but de bouleverser le milieu littéraire bourgeois de l'époque.

Le premier tract, Bleu 1, paraît le 22 novembre 1924 et est signé par Nougé. André Breton, destinataire de ce tract, en garde précieusement une copie. Ces tracts, publiés tous les dix jours, portent des titres simples comme Rose 2, Vert 3, Orange 4, et ainsi de suite. En tout, 24 tracts sont diffusés jusqu'à l'été 1925, période marquée par la visite de Breton à Bruxelles. Breton, désireux de rencontrer ces écrivains belges partageant une vision proche de la sienne, contribue à la naissance du surréalisme belge à travers une déclaration commune.

Paul Nougé, souvent associé au surréalisme, mérite une attention particulière. Collaborateur de La Révolution surréaliste et admirateur de René Magritte, qu'il préface, Nougé n'est pas dogmatique. Il se distingue par ses détournements et expérimentations, mais reste sceptique envers l'écriture automatique, affirmant après-guerre que « le surréalisme – qui a fait long feu – en tant que doctrine autonome, en tant que méthode spécifique, n’existe pas. » Nougé, avec sa créativité éruptive et fragmentaire, est inclassable et insaisissable. Son penchant pour l'« effacement » a conduit à un relatif oubli de son œuvre, même si le premier volume de la collection patrimoniale Espace Nord lui était dédié. Ce volume est aujourd'hui introuvable, renforçant son statut de figure énigmatique de la littérature.

L'une des études les plus intéressantes de Textyles, revue des lettres belges de langue française, explore le concept de détournement littéraire cher à Nougé et ses acolytes. Ils prennent des textes existants, les « kidnappent », les transforment (ou les « samplent »), puis les détournent, tout en veillant à ne pas les rendre méconnaissables. C'est ce contraste entre l'original et sa transformation qui crée l'« objet bouleversant » espéré par Nougé.

Paul Nougé, également photographe, illustre parfaitement son talent pour le détournement visuel avec des œuvres comme La jongleuse, extraite de la série Subversion des images (1929-1930). Cette série témoigne de son aptitude à réinterpréter les images, en écho à ses expérimentations littéraires.

Maxime Thiry, de l’UCLouvain, identifie chez Nougé ce « principe de détournement » théorisé dans les années 50 et qui inspirera des artistes comme Warhol, Lichtenstein et Duchamp. En somme, l'étiquette « surréaliste » est sans doute trop réductrice pour englober toute l'ampleur du travail de ce Bruxellois inclassable.

Pour ceux intéressés par cette figure fascinante, il est possible de retrouver des traces de Nougé et de ses contemporains dans diverses expositions et publications. Ainsi, en 2024, des célébrations du centenaire du surréalisme ont été organisées, notamment l'exposition Histoire de ne pas rire. Le surréalisme en Belgique à Bozar et Imagine ! aux Musées royaux des Beaux-Arts. Ces événements ont permis de redécouvrir l'héritage de Nougé et de ses compagnons, mettant en lumière leur contribution significative à la littérature et à l'art.

Paul Nougé sur un toit du laboratoire rue Belliard, tenant un appareil photographique en main, vers 1935.

Photographie de Roger GOOSSENS ; reproduction de Marc TRIVIER | Archive et Musée de la Mittérature