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Raoul de Lignerolles : l’élégance discrète d’un grand bibliophile du XIXᵉ siècle.
Raoul-Léonor L’Homme Dieu du Tranchant de Lignerolles, descendant d’une famille noble de la région de Chartres, incarne l’image du bibliophile passionné du XIXe siècle. Né à Brou, une petite ville de l’Eure-et-Loir, le 15 septembre 1816, il est issu d’une lignée enracinée au domaine du Thieulin. Sa famille, qui possédait le château de Lignerolles, s’était repliée sur la paroisse Saint-Lubin à Brou après la Révolution.
Le comte de Lignerolles, dont les armes arborent « d’azur, au chevron d’or, accompagné en chef de deux étoiles du même et en pointe d’un agneau pascal d’argent », était également chevalier de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, ordre de Malte, distinction obtenue par bulle papale à Rome en 1840. Sa carrière au sein du Conseil d’État ne saurait éclipser sa réputation dans les cercles érudits, notamment la Société des Bibliophiles françois, à laquelle il fut admis en 1851 en remplacement de Jean-Louis-Antoine Coste, propriétaire d’une vaste bibliothèque sur Lyon.
Cependant, c’est à travers sa collection personnelle que Lignerolles laisse une trace durable dans l’histoire de la bibliophilie. Avec une patience remarquable et une connaissance approfondie de l’art du livre, il constitua une bibliothèque prestigieuse, malgré des moyens financiers limités. Célibataire, il consacra son temps à arpenter les ventes publiques et les boutiques des libraires les plus renommés de Paris, comme Potier, Claudin ou Techener. Sa silhouette, reconnaissable par sa barbe blanche et sa redingote noire, était familière des amateurs de livres rares.
Lignerolles était un collectionneur de grande discrétion. Peu de gens connaissaient son domicile exact, qu’il changea plusieurs fois, d’abord rue de Clichy, puis rue d’Alger, avant de s’installer rue François Ier. Seuls quelques privilégiés, parmi lesquels le baron Pichon et Ernest Quentin-Bauchart, ont pu admirer ses trésors bibliophiliques avant leur dispersion.
Parmi les épisodes marquants de sa carrière de bibliophile, on peut citer sa participation à la vente du baron Jérôme Pichon en 1869, où un incident unique se produisit. Désireux, comme son ami le baron Jean-Joseph de La Roche-Lacarelle, d’acquérir un exemplaire rare du Recueil de pièces joyeuses en reliure de maroquin vert, les deux hommes décidèrent de partager l’ouvrage. Ils établirent un contrat stipulant que chacun en jouirait six mois par an, le survivant devenant le propriétaire unique.
Le comte de Lignerolles, fervent admirateur des éditions originales des écrivains des XVIᵉ et XVIIᵉ siècles, exigeait une qualité irréprochable pour ses ouvrages, privilégiant les reliures en maroquin ancien ou celles de Trautz-Bauzonnet, seul relieur moderne qu’il estimait. Si ses préférences littéraires se concentraient sur ces siècles-là, il ne faisait qu’une exception pour le XIXᵉ siècle, conservant uniquement Atala de Chateaubriand et quelques textes de Béranger. En revanche, il n’a jamais utilisé d’ex-libris, se contentant parfois d’inscrire un simple « V » ou « Coll. » au crayon dans ses livres.
En février 1893, après avoir souffert d’une congestion, Lignerolles décéda dans son appartement parisien. Sa bibliothèque fut dispersée lors d’une série de ventes, orchestrées par le libraire Charles Porquet. Le premier catalogue de la vente, publié en 1894, présentait une sélection impressionnante d’ouvrages rares et précieux. On y trouvait des éditions originales de Bossuet, Montaigne et La Rochefoucauld, ainsi que des reliures somptueuses ayant appartenu à des figures historiques telles que François Ier, Henri IV, ou encore Louis XIII. Ces trésors bibliophiliques reflétaient la passion et l’expertise d’un homme qui, en silence, avait constitué une des bibliothèques les plus remarquables de son temps.
La collection du comte de Lignerolles est restée dans les annales comme un modèle de raffinement bibliophilique. Parmi les ouvrages les plus précieux ayant appartenu à cette collection, on note un exemplaire unique des Œuvres de Molière, imprimé par la Compagnie des libraires associés en 1773, avec des gravures réalisées d’après Moreau « le jeune ». Ce livre, représentatif de la beauté et de l’importance des éditions que Lignerolles recherchait, est emblématique de l’art et de la passion du comte.
Avec la dispersion de sa collection, Paris perdit un grand bibliophile, mais son héritage perdure dans les ouvrages qui circulent encore dans les salles de ventes et chez les collectionneurs. À travers eux, le nom du comte de Lignerolles reste attaché à l’un des chapitres les plus élégants de l’histoire du livre ancien.
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