À la croisée des chemins entre l’artisanat d’exception et la quête esthétique, la figure de Marius-Michel s’impose...
Sultan, enchères et conte de fées.
Fin avril, juste après sa vente d’art moderne, la maison Campo andamp; Campo, située à Berchem, Anvers, dans la majestueuse salle Art déco du cinéma Berchem-Palace, construite en 1929, préparait le catalogue imprimé de sa vente classique prévue pour le 28 mai. Alors qu’elle finalisait les détails, un particulier a sonné à la porte avec à la main un portrait d’un maître ancien. « Il avait reçu ce tableau il y a très longtemps », explique Guy Campo, le maître des lieux. « Ceux qui lui avaient donné ne sont plus là, et il voulait vendre cette œuvre, sans avoir conscience de sa véritable valeur. Nous non plus, nous ne savions pas vraiment ce que nous avions sous les yeux. »
Le panneau portait un cachet intrigant que l’expert n’arrivait pas immédiatement à identifier. Néanmoins, le catalogue devait être imprimé, et l’œuvre a été répertoriée comme « H.W. couronné, portrait d’un sultan des Indes, huile sur panneau, 51 x 42 cm, cachet au verso. »
Chez Campo andamp; Campo, après de nombreuses recherches, ils ont découvert au musée Mauritshuis de La Haye un tableau portant le même cachet. Celui-ci appartenait à la collection de Guillaume III, Willem Hendrik d’Orange-Nassau (1650-1702), rival méconnu de Louis XIV, qui devint roi d’Angleterre, d’Irlande et d’Écosse après son mariage avec Marie Stuart II. Le Mauritshuis a confirmé l’information et suggéré de retirer l’œuvre de la vente pour permettre des recherches approfondies en vue d’attribuer le tableau correctement. Cependant, Guy Campo a décidé de le maintenir en vente, estimant que ce n’était pas la tâche d’une maison de vente de mener des recherches scientifiques détaillées.
Le pari a été risqué mais calculé : les enchérisseurs potentiels possédaient l’expertise nécessaire pour juger et spéculer sur l’œuvre. Sur le site de la salle de vente anversoise, l’énigmatique portrait d’un sultan des Indes a rapidement attiré l’attention, avec des premières offres online montant à 5.000 et 5.500 euros, alors que le prix de départ était estimé entre 2.000 et 4.000 euros. Le jour de la vente, l’enchère atteignait déjà 24.000 euros.
Le portrait se serait révélé être celui de l’empereur moghol indien Jahangir, qui a régné de 1605 à 1627, fils aîné et successeur d’Akbar le Grand, fondateur de la dynastie moghole, et père de Shah Jahan, le bâtisseur du célèbre Taj Mahal. Ce pedigree a immédiatement attiré l’attention des amateurs d’art, notamment des collectionneurs indiens du monde entier.
Le jour de la vente a été mémorable. « Les offres sont venues du monde entier », raconte Guy Campo. « Nous avons mis en place dix lignes téléphoniques, puis en avons ajouté encore deux ou trois. La dernière offre dans la salle a atteint 2.650.000 euros. Les acheteurs s’étaient déplacés en personne pour éviter les risques de mauvaise connexion ou d’appels manqués. »
L’extraordinaire montant final de la vente, trois millions d’euros, a constitué un record historique pour la maison Campo andamp; Campo. Guy Campo, qui avait repris les rênes de l’entreprise familiale en 1984, n’avait jamais vu un tel succès en 40 ans de carrière. Il estime que le timing serré a joué en sa faveur. « Si j’avais eu plus de temps pour explorer et estimer les références, et si j’avais estimé le tableau à 2 ou 3 millions d’euros dès le départ, je ne pense pas que ça aurait aussi bien marché. Les gens aiment se battre pour une œuvre inconnue. »
Ce conte de fées a également apporté une leçon importante : pas besoin de grandes maisons internationales pour vendre des œuvres de grande valeur. « En Belgique, au sein de petites maisons familiales, nous pouvons vendre des œuvres prestigieuses à un public mondial avec un bien meilleur service et moins de frais. »
Quant à l’élégant Jahangir, il reste enveloppé de mystère. Guy Campo a confié que le client souhaitait garder une discrétion totale, sans révéler si le tableau avait quitté la Belgique pour un autre continent. Mais qui sait, peut-être que ce chef-d’œuvre réapparaîtra un jour, exposé dans un musée grâce à un acheteur passionné qui a voulu partager sa découverte avec le monde.
© Campo
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