Tintin en Amérique : une dédicace intime d’Hergé, témoin d’une amitié et d’une enchère exceptionnelle.

L'univers de Tintin, icône mondiale de la bande dessinée, continue d'éblouir non seulement par ses aventures, mais aussi par la valeur patrimoniale des éditions originales. La récente vente aux enchères de Tintin en Amérique a mis en lumière l'importance historique et émotionnelle que cet album revêt, notamment grâce à une dédicace rare et particulièrement personnelle d'Hergé. Ce témoignage, adressé à Charles Helsen, l'aumônier des scouts de l'Institut Saint-Boniface, révèle une facette intime du créateur de Tintin, tout en soulignant le rôle central que ce mentor a joué dans la formation du jeune Georges Remi.

Une pièce unique aux enchères

Le 23 octobre 2024, l'album Tintin en Amérique (1932), édité par le Petit Vingtième, a été adjugé pour la somme impressionnante de 191 145 euros, frais compris chez Tajan. Cet album, portant la mention « 10ᵉ mille », est exceptionnel à plusieurs titres. Tout d'abord, il est le seul exemplaire répertorié de ce tirage, ce qui le place dans une catégorie à part pour les collectionneurs. En effet, bien que la première édition de Tintin en Amérique ait été imprimée en dix séries de mille exemplaires, seuls 5 400 albums ont réellement été mis en circulation, et la rareté des exemplaires en bon état rend cette pièce encore plus précieuse.

Le clou de cette vente réside toutefois dans la dédicace manuscrite qu'Hergé a adressée à l'abbé Helsen le 5 décembre 1933. Ce texte poignant témoigne de la reconnaissance profonde qu'Hergé vouait à cet homme qui fut pour lui bien plus qu'un simple enseignant. L'abbé Helsen, qui encadrait les scouts de Saint-Boniface, a marqué l'imaginaire du jeune Georges Remi, notamment lors de leurs excursions dans la forêt de Soignes, les Alpes et les Pyrénées. Ces moments de camaraderie et d'exploration ont influencé directement la genèse de Tintin, comme en témoigne cette phrase lourde de sens : « D’ailleurs, Tintin n’est qu’un autre moi-même qui aurait continué dans cette voie, à fond… ». Par cette confession, Hergé révèle une part de lui-même à travers son héros, une dimension que l'auteur n'a que très rarement abordée par la suite.

Une dédicace historique et personnelle

Ce qui frappe dans cette dédicace, c'est non seulement l'attachement d'Hergé à l'abbé Helsen, mais aussi l'intimité qui se dégage du texte. Contrairement à ses autres envois d'albums où il signe sous son pseudonyme artistique, « Hergé », ici, l'auteur utilise son véritable nom : Georges Remi. Ce choix souligne l'importance que ce message revêt pour lui et rappelle la nature profondément personnelle de cet échange. Cet usage rare du patronyme de l’auteur est un témoignage éloquent de l'authenticité de leur relation, ancrée dans des souvenirs d'enfance et de jeunesse.

L’importance de cette dédicace réside aussi dans le fait qu’Hergé n’a jamais confirmé publiquement que Tintin était une projection de lui-même. En 1979, lors d'une interview sur le plateau de l'émission Apostrophes, il avait même esquivé la question, en insistant sur la diversité des personnages qui peuplaient ses histoires. Pourtant, en 1933, face à son ami et mentor, Hergé se laisse aller à cette confession émouvante qui éclaire d'un jour nouveau l’œuvre du dessinateur. Il est aussi intéressant de noter que cette œuvre fait partie de la série des albums édités sous l’égide de l'abbé Norbert Wallez, dont Tintin au pays des Soviets et Tintin au Congo furent les précédents volets.

Une collection historique dispersée

L’album vendu aux enchères faisait partie de la collection de Felipe Ortiz-Patiño, un collectionneur discret issu d’une illustre famille bolivienne ayant fait fortune dans l'étain. Sa collection, qu’il a commencé à constituer il y a plus de trente ans, comprenait de nombreux exemplaires rares des aventures de Tintin. Parmi eux, on retrouve notamment un Tintin au Congo (1931), vendu pour 101 944 euros, et un Tintin au pays des Soviets (1930) adjugé à 63 715 euros. Ce dernier exemplaire faisait partie des rares 500 albums réservés aux acheteurs ayant souscrit avant la parution, un tirage dit « de tête ».

D’autres albums mythiques comme Le Crabe aux pinces d’or (1942) ou L’Oreille cassée (1937) ont également trouvé preneurs pour des montants avoisinant les 45 000 euros. La rareté et l’état de conservation exceptionnelle de ces ouvrages expliquent ces prix élevés. Ces ventes montrent à quel point Tintin, et plus largement l’œuvre d’Hergé, continuent de fasciner et de susciter l’engouement des collectionneurs à travers le monde.

Un succès mondial inégalé

Si Tintin est aujourd'hui une figure incontournable de la culture populaire, il l'était déjà du vivant d'Hergé. En 1966, lors d’une conférence de presse, le général de Gaulle déclarait avec humour : « Mon seul rival international, c’est Tintin ! ». Cette phrase illustre bien l’aura mondiale du personnage. Tintin est un symbole de l’aventure et de la curiosité, des valeurs qui, aujourd’hui encore, résonnent auprès des lecteurs de tous âges.

Le marché de la bande dessinée, et en particulier celui des œuvres d’Hergé, n'a cessé de croître au fil des décennies. En 2021, un dessin inédit du projet de couverture du Lotus bleu s'est vendu pour la somme faramineuse de 3,175 millions d’euros, établissant un record pour une illustration de bande dessinée. Ce succès démontre que Tintin, bien plus qu’un simple héros de papier, est une légende vivante qui continue d’inspirer et de passionner.

L’album Tintin en Amérique vendu aux enchères n’est pas qu’un simple objet de collection. Il représente une part de l’histoire personnelle d’Hergé et révèle une dimension intime de sa relation avec son mentor, l’abbé Helsen. Ce témoignage manuscrit, rare et précieux, est une fenêtre ouverte sur les origines de Tintin, une aventure qui dépasse le cadre de la fiction pour rejoindre la vie de son créateur. La passion des collectionneurs pour ces objets rares rappelle à quel point les albums de Tintin sont aujourd’hui des pièces maîtresses du patrimoine littéraire et artistique mondial.