Une amitié transatlantique aux enchères : la bibliothèque des Jouve, témoin des liens entre la France et les États-Unis.

Le 6 novembre prochain, à Paris, la maison de ventes Pescheteau-Badin, épaulée par les experts Alain Nicolas et Pierre Gheno, orchestrera une vente aux enchères d’exception : la dispersion de la bibliothèque des Jouve. Ce couple franco-américain, Daniel et Alice Jouve, avait patiemment constitué une collection de livres et documents retraçant l’histoire des Amériques et les liens entre les États-Unis et la France, témoignant d’une passion érudite pour ces relations transatlantiques. En trois parties, la vente proposera des trésors de savoir, dont de nombreux ouvrages rares et précieux qui raviront les amateurs d’histoire et de culture.

Un hommage aux fondements de la Constitution américaine

Organisée au lendemain des élections américaines, cette vente trouve une résonance particulière dans la première section dédiée aux écrits sur la Constitution américaine. Les œuvres proposées parcourent l’histoire de cette Constitution, depuis l’émergence de ses principes fondateurs en 1776 jusqu’au XIXe siècle, et relatent les événements qui ont ponctué cette époque, ainsi que l'influence française sur le développement des idéaux américains. Les textes historiques exposent les contributions des penseurs des Lumières et l’impact des figures françaises telles que La Fayette, mais aussi de divers économistes français qui ont influencé les colons américains dans leur quête d’indépendance et de liberté. Ces volumes incluent des débats intellectuels sur la structure du futur État américain, qui révèlent les échanges fructueux entre la France et les États-Unis.

Parmi les ouvrages les plus précieux, on retrouve des textes fondateurs, tels que Les Constitutions particulières des treize États fondateurs, la Constitution fédérale de 1787, et le Manuel du droit parlementaire de Thomas Jefferson. Cette sélection inclut également des œuvres théoriques et polémiques qui ont façonné la pensée politique des deux nations autour du régime démocratique. Les textes de figures emblématiques comme Adams, Franklin, Jefferson, Mazzei, Brissot, Condorcet, Dupont de Nemours, La Fayette, Mably, et Raynal témoignent des échanges intellectuels entre les penseurs de part et d’autre de l’Atlantique.

Une collection « Americana » unique

La seconde partie de la vente, intitulée « Americana », rassemble un ensemble de livres et documents historiques qui plongent dans l’histoire des Amériques. Parmi ces ouvrages figure Indian Gallery, un livre exceptionnel et complet dédié aux Indiens d’Amérique du Nord, avec ses 120 illustrations de chefs de tribus. Cet ouvrage précieux, édité en seulement une centaine d’exemplaires, est enrichi de gravures colorées à la main. Il immortalise les portraits de chefs indiens réalisés par un peintre officiel, à la demande d’un haut fonctionnaire des affaires indiennes, lorsque ceux-ci visitaient Washington à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle. Ce livre rare et bien conservé est d’autant plus précieux que les originaux des tableaux ont été détruits lors d’un incendie, en faisant ainsi le seul témoignage visuel restant de ces portraits.

Témoignages de la guerre d'Indépendance et des explorations du Nouveau Monde

La bibliothèque de Daniel Jouve comprend également des récits, des mémoires et des correspondances qui nous transportent au cœur de la guerre d’indépendance des États-Unis et des explorations en Louisiane. Des auteurs tels que Barbé-Marbois, Hilliard d’Auberteuil, Jefferson, La Fayette, et Morris ont relaté ces périodes charnières. En complément, des récits de voyages publiés entre 1770 et 1850, comme ceux de Chastellux, Montlezun et Crèvecœur, enrichissent cette section. La collection inclut également le rare Champ-d’Asile de L’Héritier, un ouvrage documentant une tentative de colonisation française au Texas en 1818.

Un manuscrit exceptionnel de René-Gédéon Potier de Pommeroy, officier français ayant servi en Amérique du Nord au XVIIIe siècle, s'ajoute aux œuvres marquantes de cette vente. Né au Canada dans la Nouvelle-France, Potier de Pommeroy livre dans ce manuscrit le récit de ses expériences militaires, de sa capture par les Anglais jusqu'à sa fuite forcée en raison de son refus de leur prêter allégeance. Ce manuscrit autographe, relié et riche en détails, inclut des copies de pièces militaires et civiles, ainsi que des informations sur ses possessions et sa famille, offrant un témoignage direct de l’histoire coloniale française.

Des ouvrages littéraires et poétiques rares

En guise de conclusion, la dernière partie de la vente comprend un magnifique exemplaire de Climats, un recueil de poèmes de la Comtesse Anna de Noailles, édité en 1924 et numéroté parmi les 125 exemplaires imprimés. Illustré de 82 gravures sur bois en couleurs, enrichies de rehauts d’or et d’argent par l’artiste F.-L. Schmied, cet ouvrage se distingue par sa qualité de conservation exceptionnelle et sa rareté. Cette édition limitée, délicatement réalisée, clôture la vente en ajoutant une touche poétique à cet ensemble déjà impressionnant.

Une vente exceptionnelle pour les passionnés d'histoire et de littérature

La vente de la bibliothèque des Jouve sera l’occasion unique de plonger dans les siècles passés et de découvrir des œuvres qui témoignent des liens profonds et durables entre la France et les États-Unis. Estimés entre quelques centaines et plusieurs dizaines de milliers d’euros, ces ouvrages attireront autant les collectionneurs chevronnés que les amateurs éclairés. Au-delà de leur valeur historique et financière, ces livres racontent une histoire collective et personnelle, celle d’un couple amoureux des livres et de l’histoire, rendant un hommage appuyé à une amitié transatlantique séculaire.

Estimé 10 000 € - 15 000 €

Par Maître Brice Pescheteau-Badin à Paris le 06/11/2024 : CONSTITUTIONS DES TREIZE ÉTATS-UNIS DE L'AMERIQUE. À Philadelphie ; et se trouve à Paris, chez Ph.-D. Pierres, Pissot, père & fils, 1783. Fort in-8, (4 dont la deuxième blanche)-540 pp., broché sous couverture d'attente avec étiquette manuscrite au dos ; volume placé sous emboîtage moderne de toile grise avec pièce de titre marron au dos ; couverture un peu usagée, mouillures marginales, emboîtage avec quelques salissures et mouillures. PREMIERE EDITION DE LA TRADUCTION FRANÇAISE, IMPRIMEE POUR BENJAMIN FRANKLIN par Philippe-Denis Pierres. 600 exemplaires en furent tirés, soit 100 exemplaires au format in-4 sur vélin Johannot d'Annonay, et 500 exemplaires in-8 comme ici. L'originale en anglais avait été publiée à Philadelphie sur ordre du Congrès continental en 1781. PREMIER RECUEIL COLLECTIF COMPLET DES CONSTITUTIONS PARTICULIERES DES TREIZE ÉTATS FONDATEURS DES ÉTATS-UNIS, avec leurs déclarations des droits - la Constitution fédérale ne serait signée qu'en 1787 -, comprenant également la Déclaration d'indépendance, les articles de la Confédération (en vigueur jusqu'en 1789 quand fut mise en application la Constitution fédérale de 1787), ainsi que les traités avec la France. Outre ces textes présents dans l'édition américaine de 1781, se trouvent ici ajoutés les traités d'amitié et de commerce signés par les États-Unis avec les Pays-Bas en 1782 et avec la Suède en avril 1783. Une édition partielle, initiée sans l'avis de Benjamin Franklin mais acceptée par lui, avait paru en 1778 (cf. ci-dessous le n° 53). OEUVRE DE VERITE ET DE PROPAGANDE VOULUE PAR BENJAMIN FRANKLIN, ce recueil fut traduit à sa demande par son ami le duc Louis-Alexandre de La Rochefoucauld d'Enville, aristocrate acquis aux idées nouvelles et ardent partisan de la cause américaine. Benjamin Franklin souhaitait donner une image exacte de la réalité institutionnelle américaine, pour dissiper certaines idées fausses qui circulaient en Europe, et il décida de publier les Constitutions américaines, dans la lange véhiculaire qu'était alors le français, avec des commentaires en grande partie de sa plume. Les censeurs royaux se montrèrent réticents, car les négociations de paix avec l'Angleterre étaient entrées dans leur stade final - la paix de Paris serait signée en septembre 1783. Cependant Benjamin Franklin sollicita en mars 1783 l'appui du ministre des Affaires étrangères le comte de Vergennes qui, après accord du garde des Sceaux le marquis de Miromesnil (avril), permit d'en débuter l'impression. Celle-ci fut rapidement achevée, Vergennes donnant son approbation définitive en mai, et la diffusion débuta en juin 1783 : Benjamin Franklin en fit notamment adresser deux exemplaires à chaque Cour d'Europe, pour être remis au souverain et à son ministre des Affaires étrangères. LA LECTURE DES CONSTITUTIONS AMERICAINES (et pas seulement de celle fédérale de 1787) JOUA UN GRAND ROLE DANS LA REFLEXION MENEE PAR LES REDACTEURS DE LA CONSTITUTION FRANÇAISE DE 1791. PREMIERE FIGURATION DU SCEAU DES ÉTATS-UNIS DANS UN OUVRAGE IMPRIME : gravé sur bois, il est ici estampé au titre. Ce sceau avait été conçu à la suite des travaux de Benjamin Franklin, Thomas Jefferson, John Adams puis de trois comités, et adopté par le Congrès continental en juin 1782 sur présentation de Charles Thompson, secrétaire de ce Congrès. Benjamin Franklin, très conscient de l'efficacité visuelle d'un symbole pour représenter la réalité d'une nation, fut le premier à le faire représenter, dans la présente édition française des Constitutions américaines. Broché tel que paru. CET EXEMPLAIRE A FIGURE DANS L'EXPOSITION BENJAMIN FRANKLIN : UN AMERICAIN A PARIS, 1776-1785, TENUE AU MUSEE CARNAVALET à Paris du 5 décembre 2007 au 9 mars 2008. Provenance : « F. Taupin » (ex-libris manuscrit sur une des premières gardes). CONSTITUTIONS. - Recueil des loix constitutives des colonies angloises, confédérées sous la dénomination d'États-Unis de l'Amérique-septentrionale. 1778. Cf. ci-dessous le n° 53. CONSTITUTION FEDERALE DES ÉTATS-UNIS DE 1787. Impression en annexe de l'ouvrage de John STEVENS, Examen du Gouvernement d'Angleterre, comparé aux Constitutions des États-Unis, 1789. Voir ci-dessous le n° 56.