Une collection singulière de portraits de pays.

Les Trente Glorieuses et l'émergence de "Petite Planète"

Au début des années 1950, une période que l’économiste français Jean Fourastié a baptisée les Trente Glorieuses, de nombreuses maisons d’édition, y compris les Éditions du Seuil, ont lancé des collections dédiées à des portraits phototextuels de pays. Parmi ces initiatives, la collection "Petite Planète" des Éditions du Seuil, dirigée par Chris Marker, se distingue par son originalité et son ambition. Cette série est née de l'idée de Tibor Mende, un journaliste et essayiste d’origine hongroise, régulièrement publié par le Seuil. Mende souhaitait créer « une série de volumes dont chacun, sous une forme concise, très illustrée, et à un prix réellement à la portée de tous, donnerait l’essentiel des connaissances actuelles sur un pays ». Cette vision a conduit à la publication en juillet 1954 du premier volume, "Autriche", signé par Claude Vausson. Ce volume, comme ses successeurs, se composait de 192 pages, incluait une centaine d’illustrations, et était vendu à un prix accessible.

Chris Marker : un directeur innovant

Chris Marker, né Christian Bouche-Villeneuve, a joué un rôle déterminant dans le développement de la collection "Petite Planète". Dès le début, Marker a infusé la série avec une approche unique et une attention particulière aux détails, à la fois dans le texte et les illustrations. Son influence est perceptible dans les premiers 18 volumes de la collection, qui mettent en avant des caractéristiques distinctives telles que l'accent sur la situation actuelle des pays, leur culture, et une diversité d'illustrations. Marker, en tant que réalisateur et photographe, a également contribué directement avec ses propres photographies et archives personnelles, enrichissant ainsi le contenu visuel des volumes.

Une structure inspirée d’"Écrivains de toujours"

La collection "Petite Planète" s’inspire de la collection "Écrivains de toujours", également publiée par le Seuil. Cette dernière visait à faire connaître des figures littéraires majeures à travers des biographies et des essais critiques abondamment illustrés. "Petite Planète" a adopté un format similaire, avec des volumes de 192 pages, une centaine d’illustrations et un format de poche. Cependant, alors que "Écrivains de toujours" se concentrait sur les auteurs, "Petite Planète" se consacrait aux pays, offrant une présentation détaillée de chaque nation à travers des descriptions géographiques, des portraits de population, des évocations historiques et culturelles.

Des couvertures iconiques

Une des particularités visuelles de "Petite Planète" est la constante présence de portraits de femmes sur les couvertures. Cette esthétique peut être liée à plusieurs hypothèses, notamment l’admiration de Marker pour Henri Michaux ou une volonté de contraste avec les autres collections de l’époque, qui arboraient généralement des paysages ou des monuments. Les portraits féminins pourraient également représenter des allégories des pays ou répondre à une stratégie commerciale visant à capter l’attention du public.

Une organisation thématique diversifiée

Chaque volume de "Petite Planète" suit une structure propre, mais tous abordent des thèmes similaires : géographie, histoire, culture, situation contemporaine, et aspects pratiques pour les voyageurs. Ces livres se distinguent par une présentation exhaustive des pays, incluant des éléments culturels variés tels que la littérature, la musique, et même des aspects populaires comme les folklores et festivités. Les volumes contiennent également des cartes schématiques fantaisistes, reflétant une vocation de portrait de pays plutôt que de guide touristique.

Une richesse illustrative inégalée

Les volumes de "Petite Planète" se caractérisent par leur abondance et diversité d’illustrations. Photos d’archives, reproductions d’œuvres d’art, bandes dessinées, affiches de propagande, et autres éléments visuels se côtoient dans une mise en page soignée. Cette richesse iconographique témoigne d’une recherche approfondie et d’un soin esthétique particulier, rapprochant la collection des pratiques des "architectes du livre" d’après-guerre. Les illustrations proviennent de diverses sources, incluant des agences photographiques, des photographes célèbres, et les archives personnelles de Marker et ses collaborateurs.

Des montages graphiques innovants

Chris Marker a expérimenté divers montages graphiques au sein de la collection, utilisant des procédés tels que le parallélisme, les galeries de portraits, et les séquences cinématographiques. Ces montages visuels permettent de véhiculer des messages divers, qu’il s’agisse de pamphlets, de mémoires, ou de continuités temporelles. Les séquences graphiques spécifiques, comme les "court-métrages" présents dans certains volumes, illustrent cette approche novatrice, conférant à "Petite Planète" un cachet distinctif.

Une collection emblématique des Éditions du Seuil

Née au début des Trente Glorieuses, la collection "Petite Planète" représente une initiative éditoriale audacieuse des Éditions du Seuil. Grâce à la direction de Chris Marker, la collection s’est distinguée par ses choix graphiques et thématiques, offrant une vision exhaustive et innovante des pays décrits. Bien que Marker ait cédé sa place après cinq ans, la collection a continué à prospérer sous la direction de ses successeurs, Juliette Caputo puis Simonne Lacouture, jusqu'au début des années 1980.

"Petite Planète" reste une collection emblématique qui a marqué le paysage éditorial français par son originalité et son ambition. En alliant un contenu textuel dense et varié à une richesse illustrative unique, les volumes de "Petite Planète" ont offert une vision singulière des pays et ont contribué à une meilleure compréhension culturelle dans l'après-guerre. La collection demeure un témoignage précieux de l'engagement des Éditions du Seuil et de Chris Marker à repousser les frontières de la création éditoriale.