Une neuvième édition controversée : l’avenir du dictionnaire de l’Académie française en question.

La publication récente de la neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie française suscite de nombreuses critiques, notamment celle de Médéric Gasquet-Cyrus, linguiste et co-auteur de Va voir dans le dico si j’y suis. Retour sur les limites et enjeux d’un ouvrage qui, malgré ses prétentions, semble déjà dépassé.

Une édition monumentale mais datée

Après quarante ans de travail, la neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie française a été officiellement remise au président Emmanuel Macron le 14 novembre 2024. Ce travail colossal, rassemblant 59 000 mots, se veut être une référence pour la langue française. Pourtant, Médéric Gasquet-Cyrus n’hésite pas à exprimer ses réserves : « Il est à peine terminé et il ne sert pas à grand-chose », déclare-t-il sans ambages.

Certes, l’ouvrage offre une perspective historique précieuse en permettant une exploration des éditions précédentes, depuis celle de 1694, grâce à une plateforme numérique. Mais pour le linguiste, cet intérêt est avant tout académique. « Si on cherche un dictionnaire d’usage, ce n’est pas vers celui-là qu’il faut aller », insiste-t-il, pointant du doigt l’inadéquation du dictionnaire avec les besoins contemporains.

Des lacunes qui interrogent

Une critique majeure porte sur l’absence de nombreux mots courants dans cette nouvelle édition. Gasquet-Cyrus donne des exemples frappants : « Vous ne pouvez pas partager une chocolatine bio avec votre daron, car ces mots ne figurent pas dans le dictionnaire. » Pourtant, ces termes sont loin d’être marginalisés ou particulièrement récents.

L’élaboration même de ce dictionnaire est mise en cause. Le processus, qualifié « d’archaïque », repose sur une méthode que le linguiste considère dépassée : « Une poignée de personnes se réunissent, examinent des fiches préparées par des agrégés et décident. » Cette méthode, qui contraste avec les pratiques modernes des lexicographes professionnels comme ceux de Larousse ou du Robert, pose question. Ces derniers utilisent des outils d’observation de la langue vivante et établissent des critères précis pour intégrer de nouveaux termes.

Gasquet-Cyrus souligne également des incohérences troublantes. Pourquoi trouve-t-on vibromasseur mais pas godemiché ? Pourquoi zapping et woke sont-ils présents, alors que des termes d’usage courant comme web et mail manquent à l’appel ? Ces choix laissent un goût d’arbitraire qui jette une ombre sur la légitimité de l’ouvrage.

Une adaptation tardive à la société

Si l’Académie française a finalement intégré la féminisation des noms de métiers dans cette édition, ce n’est pas sans polémique. « Ce sont les derniers de la classe à le faire ! », ironise Gasquet-Cyrus. Il rappelle que l’Académie a longtemps combattu cette évolution, publiant jusqu’en 2019 des communiqués dénonçant la féminisation comme une menace pour la langue. Ce n’est que sous la pression de l’usage et des institutions qu’elle a fini par accepter cette transformation, rendant son retard encore plus flagrant.

Malgré ces avancées, le dictionnaire reste conservateur. La définition donnée au mot stylé en est une illustration frappante : « Se dit d’un employé de maison ou d’hôtel qui accomplit ses tâches en se conformant parfaitement aux règles de sa profession. » Une définition manifestement datée, sans rapport avec l’usage contemporain du terme.

Les alternatives : une richesse à portée de clic

Face aux limites du Dictionnaire de l’Académie française, Médéric Gasquet-Cyrus invite à se tourner vers d’autres ressources, plus adaptées à la langue d’aujourd’hui. Les dictionnaires Larousse et Robert, conçus par des équipes de professionnels, offrent des mises à jour régulières et une meilleure prise en compte des évolutions linguistiques. Le Wiktionnaire, collaboratif et gratuit, se distingue par sa richesse avec plus de 400 000 entrées.

Le linguiste souligne également l’importance d’une réflexion sur l’orthographe, domaine où l’Académie pourrait jouer un rôle constructif. Plutôt que de se concentrer sur un dictionnaire d’usage peu pertinent, il propose que l’institution travaille à rendre l’orthographe française plus cohérente et accessible.

L’avenir du dictionnaire : quelles perspectives ?

Alors que l’Académie annonce déjà travailler sur une dixième édition, la pertinence même de ce projet est remise en cause. « Très franchement, ils pourraient faire autre chose », estime Gasquet-Cyrus, parlant au nom du Collectif des linguistes atterrés. La question se pose : l’Académie française a-t-elle encore un rôle à jouer dans la lexicographie de la langue contemporaine, ou doit-elle repenser ses missions face à une société en mutation rapide ?

En attendant, la neuvième édition reste un objet paradoxal : précieux pour les historiens, mais largement insuffisant pour les locuteurs d’aujourd’hui. Une œuvre d’une ampleur indéniable, mais qui peine à répondre aux attentes de son époque.